Hier soir était venu le moment pour le groupe F de conclure cette première salve de la phase de poules de l’Euro, avec en point d’orgue un choc attendu de tous entre les deux dernier champions du monde, avec un classique : France-Allemagne. L’Europe voulait voir, elle a vu. La voilà prévenue. Les Bleus étant des habitués au démarrage diesel en compétitions internationales, des doutes auraient pu émerger les concernant. Nos petits Frenchies sont arrivés cet été, auréolés d’un nouveau statut, avec son lot de respect inspiré, mais aussi la tâche d’être désormais l’équipe à abattre. Une attaque remaniée, avec le retour de l’enfant honni, la nouvelle dimension prise par celui qui était encore un jeune rookie lors de l’été russe de 2018, la mise en retrait de son meilleur buteur en activité, sur la pente descendante, mais répondant toujours présent quand on fait appel à lui…
Un apéritif corsé
La force collective inébranlable qu’avaient bâti Deschamps et son staff il y a 3 ans menaçait d’être mise à rude épreuve d’entrée de jeu, avec un tirage au sort les plaçant dans le groupe de la mort, en compagnie du Portugal et de la Hongrie, chose qui n’était pas arrivée à l’EDF depuis 2008. Un groupe de la mort dont l’appellation pourrait sembler aujourd’hui bien abusive puisque les deux tiers des 3e pourront se qualifier au tour suivant. Mais ce serait sans envisager que le moindre accroc, contre la Hongrie pour ne pas la nommer, présumé plus faible, pourrait mettre une pression monstre…
Il n’empêche qu’hier, à tout juste deux heures du couvre-feu, on trépignait d’enfin entrer de plein pied dans ce tournoi ! Et cela pourrait paraître superficiel quand est venu l’heure des hymnes, mais un plan a suffit pour commencer à effacer les quelques doutes qu’on avait osé émettre… L’équipe allait-elle faire corps ? Allait-on retrouver cette capacité à se sublimer sous les couleurs de la patrie ?… L’unicité, la détermination perceptible dans les attitudes et les regards lors de la Marseillaise entonnée à Munich pouvaient déjà apporter un début de réponse.
Et pourtant…
Les premières minutes furent tâtonnantes. Les Teutons, fidèles à leur style depuis maintenant plus d’une dizaine d’années, prenaient le jeu à leur compte, multipliaient les récupérations… Juste le temps de régler la mire niveau intensité pour les Bleus. Le rapport de force ne tarda pas à s’équilibrer entre les deux 11, dont l’impact mis sur le terrain n’aurait pas à rougir avec une affiche de Ligue des Champions. Puis, sur une touche anodine au milieu de terrain, Pavard combine avec Pogba, puis Benzema, qui remet sur la Pioche. Une Pioche qui a remis son plus beau costume, celui qui en fait l’un des plus beaux milieux du monde, le temps d’un mois tous les deux (ou trois) ans.
Petit Paul redevient grand, car nous avons avec lui affaire à un joueur de tournoi, comme l’avait avancé José Mourinho pour expliquer son Mondial 2018 : ”Je ne pense pas que ce soit à nous de tirer le meilleur de lui, c’est à lui de donner le meilleur. À la Coupe du monde, c’est la compétition idéale pour permettre à un joueur d’être à son top. Pourquoi ? Car c’est un tournoi sur un mois où tu ne peux penser qu’au football. (…) Durant une saison, vous avez un grand match, puis un plus petit, et un autre encore plus petit, donc vous pouvez perdre votre concentration” . C’est à ce moment précis que les Mancuniens pourront une nouvelle fois nous envier ce grand dadais, qui ”bande” pour le maillot bleu, lorsque celui-ci nous gratifie d’un extérieur du pied sublime pour alerter Hernandez sur la gauche…
La suite entrera dans la petite histoire des duels entre les deux pays. Hummels, buteur-bourreau de l’élimination française au Brésil 7 ans plus tôt, ne peut rien faire sur le centre en force de Lucas, sentant le souffle chaud du guépard dans son dos, et expédie cette fois-ci le ballon dans ses propres filets. L’Allemagne avait prévenu, elle pense avoir cerné ses failles, héritées d’un romantisme qui lui a peu à peu fait privilégier la manière au résultat. Schweinsteiger, qui a vu et vécu de l’intérieur cette transition, expliquait d’ailleurs avant le match : ”Le problème est aussi que l’on s’est trop concentré sur les solutions de jeu, ces dernières années, jusqu’à en oublier un peu les vertus pour lesquelles l’Allemagne est souvent enviée : l’implication, le combat, la volonté, la mentalité de vainqueur, explique la légende bavaroise. On a un peu perdu ces qualités. Peut-être que cela est dû aussi au changement de génération.
Mais si l’équipe parvient à allier la qualité de jeu qu’elle possède aux vertus allemandes, alors nous verrons avec certitude une bonne équipe d’Allemagne à l’Euro.” De notre côté, et ce n’est pas le match d’hier qui nous fera dire le contraire, nous ne sommes pas loin de penser que le constat est le bon, mais qu’il reste du chemin à parcourir. Rejoignant cette idée, Rüdiger l’avait annoncé : il voulait jouer ”sale”. Seulement, son appétence pour le maillot du meilleur joueur sur le pré hier lui a plus donné l’air d’un matou mordilleur que d’un félin en chasse. La réaction de Paul Pogba à la fin du match mérite d’ailleurs la comparaison avec l’air attendri qu’on peut avoir lorsqu’un chaton fait ses dents sur une main qu’on lui tend négligemment… ”Nous sommes amis. Ce n’était rien de grave.
Je pense que vous avez vu les images télévisées, c’est fini, c’est du passé, je ne crie pas pour des cartons jaunes ou rouges pour de telles actions. Je pense qu’il m’a un peu grignoté. Nous nous connaissons depuis longtemps. Je l’ai senti, je l’ai dit à l’arbitre, il prend les décisions et il a pris la décision. Il n’a pas reçu de carton et je pense que c’est mieux comme ça. Je ne veux pas qu’il soit banni à cause de ça. Nous nous sommes embrassés à la fin du match et c’était tout. ” Gosens de son côté, aura tenté plus audacieux, plus dangereux, et plus référencé. C’est ainsi qu’à l’heure de jeu, le latéral confond Pavard avec Battiston pour lui asséner un fracassant coup de fesse-cuisse-genoux (rayer la mention inutile).
Même cause, même effet : aucun carton. La VAR (cette ignominie) n’enlèvera pas cette magie au football : son injustice. Et cela n’en est que plus beau ! Une différence notable : à l’image de Stallone dans Rocky IV, Pavard finit toujours par se relever, ce qui fera dire l’allemand à ses coéquipiers ”He’s not a human. He’s like a piece of iron !” Reste alors une demi-heure durant laquelle une mutation pu commencer à s’opérer, pour l’auteur de ces lignes entre autres…
MEA CULPA
Il y a trois ans, Deschamps fit grimper l’Everest à son groupe pour le hisser au sommet de la planète football. Si la plupart des Français, plus ou moins férus de football, célébrèrent dans la liesse ce titre, 20 ans après son précédent, et arguaient que, peu importe la manière, seule la victoire comptait, d’autres éprouvaient une joie contradictoire. Le football est affaire de sensibilités : on peut être supporter d’un club, d’une équipe nationale, pour tout un tas de raison. Le pays pour lequel on vibre (souvent celui d’origine), le club qui nous a fait découvrir ce sport lorsque l’on était encore qu’un enfant…
Une génération dorée, un style de jeu, une politique d’enracinement, une ville où l’on a voyagé à plusieurs reprises, un arbre généalogique hispanique curieusement découvert entre 2008 et 2012… Et pour certains d’entre nous, ce titre de 2018 tant attendu, eut une saveur bien particulière. En effet, ceux que l’on pourrait qualifier de ”pisse-froids”, ”rabat-joie” reconnaissaient bien volontiers que l’EDF avait dominé de la tête et des épaules le Mondial, mais n’avaient pas tant vibré que ça pour cette équipe, au pragmatisme qui colle aux basques de son sélectionneur… Tout au plus, avait-elle été menée au score l’espace de 7 minutes, dans le match le plus légendaire de son parcours, et dont le scénario était à l’opposé de tout ce que recherche Deschamps. Depuis, trois années ont passé.
On a cru que les Bleus allaient connaître la même progression dans le jeu que la génération Zidane entre 98 et 2000, passant de gagnants besogneux à magnifiques. Une progression logique pour un groupe qui se connaît depuis des années : l’ossature Lloris-Varane-Kanté-Pogba-Griezmann notamment. Tout ceci accompagné du retour de l’attaquant tant attendu pour enfin donner un coup de fouet à toute une animation offensive… Au vue du match d’hier, force est de constater que rien de tout ça ne s’est passé. Au contraire, Deschamps a créé un monstre, et les visages changent (Rabiot pour Matuidi, Benzema pour Giroud) mais le caractère non, il reste immuable.
Et quelque part, si l’on ne se rapproche pas d’un esthétisme guardiolien (dont l’Allemagne peut déplorer les conséquences à long terme…), cette symphonie de titane présente quelque chose de fascinant. Sorte de mix entre la culture italienne de son sélectionneur, et le cholisme des années qui ont révélé son meneur de jeu à la face du monde, l’EDF a réussit un tour de force. Elle s’est imposé comme l’équipe la plus impressionnante dans sa maîtrise des événements de ce début d’Euro, et ceci, sans ”inscrire” le moindre but. Non, les images qui resteront en tête après la soirée d’hier seront celles d’une muraille incarnée par Varane et Kimpembé (et Pavard et Hernandez et Kanté et… mais tous en fait !), et cette rage dans ce tacle le long de la ligne de touche de Grizzie dans le dernier quart d’heure.
Pour ma part, ce geste fut aussi célébré qu’un but, et ça dit long sur le changement de perception de nos attentes. Didier, tu as bouleversé nos fantasmes ! Hier, des réminiscences d’une demi-finale franco-belge sont remontées. Et la métaphore sera cruelle pour nos voisins limitrophes, allemands comme belges. Pas sexy la France ? Et que pensez-vous d’un roc sans faille qui renvoie inlassablement la balle à son adversaire, n’ayant cure de la possession ? C’est simple, au sortir de la rencontre, on avait l’illusion d’un adulte jouant avec des enfants. Des enfants qui revenaient se briser de manière impuissante.
Bien sûr, il est facile d’affirmer ceci après coup, et Gnabry aurait pu voir sa belle reprise aller au fond, mais soyons franc. Le sentiment que le match aurait pu durer une demi-heure de plus sur le même schéma sans que le score ne bouge était bien réel. Alors bien sûr il conviendrait de ne pas s’enflammer tant la route est encore longue pour à nouveau faire le doublé. Mais le fait est là, aucune équipe en lice ne dipose d’une telle marge, d’une telle matûrité, et n’a laissé une telle sensation de supériorité pour le moment (compte-tenu de l’adversaire).
Il n’empêche que le football, entre cruauté et magie, n’est pas avare en coup du sort, et que les Bleus pourrait bien tomber sur un jumeau maléfique dans les jours à venir. Le Portugal pourrait en présenter certaines caractéristiques d’ailleurs, lui qui se trouve peut-être à l’origine de la création de ce Frankenstein du ballon rond, un certain soir de juillet 2016… L’Allemagne, quant à elle, pourrait recroiser son chemin plus tard dans la compétition, et ferait mieux d’aller (re)trouver l’Oeil du Tigre, si elle ne veut pas de nouveau ressembler à un chaton.
Esteban Lemonnier