Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
Elea-Mariama Diarra a longtemps douté à cause de ses multiples blessures qui ont freiné sa progression sur le tour de piste. Depuis 2 ans en pleine possession de ses moyens, la spécialiste du 400m enchaîne les bonnes performances. Découvrez son récit entre passion pour l’athlétisme, périodes de doute et sacre national cet été.
4 fois que je renais, 4 fois que je reviens, et aujourd’hui plus encore je crois en ma bonne étoile.
J’ai d’abord commencé le sport par d’autres disciplines comme la natation, le judo, le basket et le handball. Je changeais tous les ans, car je n’étais pas très forte ni très fan. Vers 10 ans on faisait des cross à l’école, et là je m’en sortais plutôt bien. J’ai souvent gagné donc mes parents m’ont dit “on te met à l’athlé et on verra ce que ça donne !”. C’est comme ça que j’ai pris ma première licence, en 2000 au Décines Meyzieu Athlétisme dans la banlieue lyonnaise !
Je ne me suis jamais vu faire de l’athlétisme et en vivre. Et pourtant c’est ce que je fais depuis cette année, à 27 ans. Mais j’ai vraiment commencé à m’entraîner sérieusement vers 16 ans quand j’ai rencontré mon coach actuel Grégory Duval. Je me suis prise au jeu du haut-niveau avec ma première sélection en équipe de France junior à 18 ans. J’ai toujours eu une activité à côté jusqu’en 2016, j’ai un master en école de commerce, et même pendant mon break dans cette école j’avais un travail à mi-temps. Je pense que cela aide pour l’équilibre, pour ne pas penser qu’à l’athlétisme et pouvoir s’aérer l’esprit parfois.
Pour les gens de ma génération les Marc Raquil, Leslie Dhjone ont marqué notre discipline. Muriel Hurtis également, et j’ai d’ailleurs couru avec elle au début de ma carrière alors que je la suivais à la télé. C’était une grande championne que j’admirais. Je pense qu’il est important d’avoir des modèles dans le sport qu’on pratique. On peut s’en inspirer dans les moments de gloire, mais aussi dans les difficultés.
LES BLESSURES, MON FARDAUD
J’ai eu plusieurs blessures pendant ma carrière avec des temps d’arrêt importants. On peut dire que j’ai eu quatre soucis importants. Deux grosses opérations aux tendons d’Achille, une mononucléose et une double fracture de fatigue au tibia et au métatarse en 2010. Certains ont du mal à revenir après une grosse blessure, d’autres décident d’arrêter après deux ou trois blessures, moi ce qui m’a sauvé c’est que j’ai eu quelques éclaircies au milieu de ces 4 moments.
En 2009 je me fais opérer des tendons et en 2011 je termine 3ème avec les filles au relais 4X400 aux championnats d’Europe espoir. J’obtiens également le titre de championne de France en 2011. En 2013/14 j’ai la mononucléose, et en 2015 on a gagné le titre avec le relais aux championnats d’Europe en salle. Cela aide à tenir malgré tout. Il y avait toujours cette envie de voir jusqu’où je pouvais aller sans être blessée, car quand je ne l’étais pas, les choses se passaient plutôt bien pour moi.
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En 2015 après le titre j’ai de nouveau eu des soucis aux tendons et je n’ai pas pu faire les championnats de France et du Monde. Là honnêtement je commençais à en avoir marre, j’ai eu quelques moments de doutes, j’ai mis un peu de temps à m’en remettre, mais comme il y avait les JO l’année d’après j’ai décidé de me faire opérer. Ça m’a fait louper deux mois de préparation, mais je suis bien revenue, j’ai été en forme au bon moment, et je me suis qualifiée pour les Jeux Olympiques de Rio en 2016. À ce moment-là, le plus dur était derrière moi. Du moins c’est ce que je pensais.
Finalement aux Jeux je n’ai pas couru, je devais être alignée en finale du 4X400, mais on ne s’est pas qualifiée.
Pour la deuxième fois en 2 ans, j’ai été touchée moralement. Je me suis demandée si je voulais continuer, j’ai pris un peu plus de temps pour y réfléchir avec une plus grosse coupure. Il y avait deux choix : soit j’allais chercher un travail avec mon master en poche en arrêtant l’athlé, soit je continuais.
Et là j’ai eu le même sentiment que la première fois, le sentiment d’inachevé, le sentiment que je n’avais pas encore fait ce que je devais faire.
RENAISSANCE
J’ai repris l’entraînement et jusqu’au mois de mars je n’y arrivais pas. J’avais l’impression de tout donner, mais les performances n’étaient pas là. En discutant avec une personne de mon entourage, ancien décathlonien (Pierre-Alexandre Vial), il m’a dit que je n’avais pas fait le deuil de ces JO et tant que je ne travaillerais pas là-dessus, mes performances ne seraient pas bonnes. Après avoir discuté deux-trois heures avec lui, deux semaines plus tard tout s’est débloqué, je mettais la même intensité à l’entraînement, mais psychologiquement ça s’était débloqué.
Depuis ce moment tout se passe bien et je n’ai pas connu de nouvelles blessures. Je pouvais donc me concentrer sur les performances et me tester sur les compétitions.
En 2011 quand j’ai gagné mes premiers championnats élites, je les approchais comme une débutante qui n’a rien à perdre, sans pression, en outsider complète. Mais après avoir gagné forcément on est attendu chaque année. Et depuis 2011, cette année 2017 était la première fois où je les abordais de façon confiante.
J’ai un souci aux championnats de France ce sont les séries. Je me manque souvent et là l’objectif n’était même pas de bien les réussir, c’était de ne pas trop les louper. Finalement cela se passe bien je gagne ma série, mais avec un temps moyen, 52’80, et j’ai dû m’employer pour faire ce temps-là, je n’étais pas relâchée à la fin ce qui ne me donne pas une grosse confiance pour la finale. Je me dis quand même que le plus gros a été fait, je suis en finale, donc à ma place dans les 8 meilleures Françaises.
Mon expérience de 2011 me sert dans le sens où cette année-là je n’étais pas du tout celle qui devait gagner, et donc je sais que sur une course, il n’y a rien d’impossible. Des 8 finalistes, j’étais sans doute celle avec la plus basse probabilité de gagner ce titre. Cette année en 2017 c’est vrai qu’il y avait notamment Floria Gueï, donc je n’étais pas la favorite, mais c’est aussi la beauté de l’athlétisme, sur une course on peut renverser les choses et je l’avais bien en tête.
Le matin de ma course, je suis confiante, mais très tendue, je suis quelqu’un d’assez stressée à l’approche des courses. Ce n’est pas un stress négatif, mais j’ai du mal à me concentrer, ça me bouffe énormément nerveusement et l’avant course ce n’est vraiment pas quelque chose que j’aime. On compte les heures, les minutes, on a hâte que ça arrive pour se libérer de ce poids. J’ai du mal à manger alors que le jour d’une compétition la nutrition est importante. Mais une fois que j’arrive à l’échauffement, et ce jour en particulier, ça commence à aller mieux. J’ai ressenti la confiance de mon coach, on ne se parle pas beaucoup à partir de ce moment, car j’ai besoin de me mettre dans ma bulle. Il le sait et le respecte donc il ne vient pas “m’embêter”. Mais ce jour-là par les regards ou des signes il me montrait que je faisais les choses de la bonne façon et c’est vrai que je sentais que lui aussi était confiant, et ça aide énormément.
51,92 SECONDES DE PUR BONHEUR
Je n’étais pas vraiment satisfaite de mon couloir, j’avais le 6 donc assez extérieur. Je préfère avoir mes adversaires “en ligne de mire” plutôt que les avoir dans le dos et faire le lièvre. Cela dépend des athlètes, pour certains c’est l’inverse et ça leurs enlève une pression et leurs permet de se concentrer plus sur eux-mêmes. Mais j’essayais de ne pas trop me focaliser sur les éléments extérieurs, le couloir, mais la chaleur aussi, car nous étions à Marseille en plein mois de juillet, il y avait beaucoup de vent aussi, mais ces conditions seraient les mêmes pour tout le monde.
FINALE FRANCE ELITE 400M FEMININ
#CFAthle 👊🇫🇷 : Surprise sur le 400m féminin ! En 52”08, Floria Gueï battue par Elea Mariama-Diarra, qui bat son record personnel (51”92) pic.twitter.com/e6DSzZ9zu0
— SFR Sport (@SFR_Sport) 16 juillet 2017
Au moment où je me mets sur la ligne de départ je suis vraiment dans mon monde, concentrée sur ce que je dois faire. Je n’ai rien fait d’exceptionnel pendant cette course, mais je n’ai pas fait d’erreur. Les filles couraient très vite dans mon dos, mais j’ai respecté les consignes. Quand j’ai voulu relancer dans le virage il n’y a pas eu de soucis je l’ai fait, et quand je sors du virage il y avait encore deux filles devant moi, dont Floria, et là je ne sais pas comment l’expliquer, mais je savais que j’allais revenir, que j’avais encore ce qu’il fallait pour pouvoir gagner. Alors que quand je regarde la course je passe juste avant la ligne et c’était moins une pour que je termine 2ème.
Après la course j’ai eu du mal à me souvenir de ce que j’avais fait, c’était comme un trou noir. Tout avait l’air facile pendant la course, j’avais l’impression que les autres filles étaient au ralenti, que tout se passait au ralenti, et que moi j’étais à vitesse normale et que je pouvais faire tout ce que je voulais. C’est un état de transe, mais contrôlé. J’en ai discuté avec mon ostéopathe qui fait aussi de la préparation mentale. Il m’a dit que j’étais en fait dans la “zone”, dans le “flow” c’est cet état de grâce qu’on peut connaître dans le sport quand tout se passe bien, qu’on se transcende et qu’on arrive à faire ce qu’il faut sans soucis. C’est assez rare et ça ne dure pas longtemps, mais c’est magnifique quand ça arrive.
Au moment où je passe la ligne, je regarde tout de suite le chrono, car je voulais vraiment passer cette barre des 52s avec laquelle j’ai du mal depuis 2012. C’était vraiment mon objectif plus que le titre encore, car le but était de progresser sur les chronos. Quand je vois 51’92 là je suis extrêmement contente ! Mais j’aurais dû exploser de joie en voyant que j’étais aussi la première, c’est un titre important et je n’avais plus été sur le podium des championnats de France depuis mon autre titre en 2011.
Mais on a parfois du mal à réaliser de suite, car on a toute cette pression qui retombe et donc c’est donc un soulagement avant de devenir une joie bien sûr. Je suis de suite allé voir mon entraîneur, mon père qui était venu pour la première fois me voir à un championnat de France, et mes proches. Peu de temps après, au moment où je redescendais tout doucement de mon petit nuage, j’apprends que je suis sélectionnée pour les championnats du monde à Londres alors que ce n’était pas du tout quelque chose de prévu. Donc deuxième étonnement très positif en peu de temps ! J’ai pris un ou deux jours de plus pour me remettre de mes émotions et puis je suis retournée à l’entraînement pour me préparer pour les championnats du monde.
Ce titre est arrivé au bon moment, cela m’a donné le plein de confiance, et mes objectifs maintenant sont les championnats d’Europe à Berlin en 2018 et les JO de Tokyo en 2020. Je suis reboostée, remotivée, et le fait d’être passée athlète pro cette année grâce à Pagès et Lereca qui me suivent depuis 2 ans ainsi que Nike qui est à mes côtés depuis cette année, me permet de mettre toutes les chances de mon côté.