La terrible chute de Julian Alaphilippe sur Liège a marqué le cyclisme. Les témoignages de Romain Bardet et Jérémy Cabot posent question.
Crédit : DR
La lourde chute sur Liège Bastogne Liège a plongé le peloton dans le chaos. Avec près de la moitié des protagonistes jetés à terre et une grande incompréhension qui a longtemps éclipsé le déroulement de la course. Et avec des grosses conséquences pour certains. Julian Alaphilippe a été durement touché et la suite de sa saison est compromise. Même constat pour son compatriote Elie Gesbert.
De plus en plus de nervosité dans le peloton qui amène la chute
On se rappelle des première étapes du Tour de France marquées par les chutes, très lourdes. Si la première a été provoquée par “Opi-Omi”, spectatrice tristement célèbre désormais, d’autres sont la conséquence directe de la nervosité dans le peloton. Sur les débuts de Grand Tour, tout le monde peut avoir sa carte à jouer. Les sprinters jouent la gagne, les leaders veulent jouer placer jusqu’au 3 kilomètres, là ou les temps réels sont comptés. Surtout, les équipiers, malgré leur fatigue, continuent à placer leurs différents leaders. Automatiquement la course s’accélère, certains manquent de lucidité et tout le monde joue des coudes pour rester placé ! Les chutes sont donc inévitables. “Certains sont prêts à tout pour passer”, reconnaît Romain Bardet.
Et sur Liège, c’est bel et bien cette nervosité, soulignée par Romain Bardet dans son témoignage, mais aussi dans un post mis sur les réseaux sociaux : “La responsabilité que l’on a quand nous prenons des risques pour se faire une place à l’avant du peloton peut-être lourde de conséquences pour les 100 gars qui se trouvent derrière nous”. Et il est vrai qu’il est loin le temps où les équipiers s’écartaient définitivement quand ils étaient lâchés. Désormais, tous veulent tenir le plus longtemps possible et protéger leur leader. Le déclenchement des courses de plus en plus loin amène aussi beaucoup plus de nervosité. Les leaders veulent être placés à plus de 100 kilomètres de l’arrivée. Et la course leur donne raison. Dimanche et pour la première fois depuis longtemps, un vainqueur de Liège est parti en solitaire dans la Redoute. Pas de quoi calmer les ardeurs du peloton dans le futur.
Le matériel de plus en plus performant et des courses plus rapides… Mais qui posent problème
Les freins à disques, les diverses amélioration (on pense à la tige de selle rétractable dont a fait une formidable publicité) ont amené des changements dans le peloton. Et les courses sont de plus en plus rapides ces derniers mois. Le record a été battu sur Paris-Roubaix et de l’aveu des coureurs, sur Liège, jamais la course n’a débranché et a été rapide de bout en bout. Ce qui peut expliquer d’ailleurs le manque de jus des leaders, après l’attaque de Remco Evenepoel. Mais forcément, cela va plus vite, cela amène plus de risque de chute mais aussi des chutes qui sont plus lourdes quand elles interviennent. Romain Bardet témoigne dans l’Equipe : “Tout est tellement optimisé, on ne se rend pas compte, on a des vélos tellement rapides que si tu es vraiment collé à la roue du mec devant, tu ne pédales presque pas“
Certaines routes de moins en moins propices au cyclisme et qui amènent la chute
Là aussi, Romain Bardet témoigne : “On était à plus de 70 kilomètres à l’heure, le revêtement n’était pas bon. J’avais l’impression d’être dans une descente de station où il y a eu du gel tout l’hiver. Il y avait beaucoup de trous à l’endroit où cela a chuté. Sur un enrobé parfait, on serait peut-être passés sans encombres“. Le problème de l’état des routes est trop peu souvent souligné. Mais chacun qui à l’habitude de prendre son vélo pour aller rouler, qu’il soit professionnel où juste cyclo du dimanche, peut constater que les routes sont de plus en plus dégradées, que ce soit dans les villes où en campagne. Seul, il est facile d’éviter les trous. A plusieurs, cela devient impossible et le premier qui tombe risque d’entraîner bon nombre de coureurs avec lui.
Marc Madiot, durant le dernier Tour de France, a posé un gros coup de gueule, à l’issue de la 3e étape marquée une nouvelle fois par des chutes. Un vrai problème. Est-ce que les grandes courses devraient éviter les petites routes où routes abimées ? Où, à l’amorce de celles-ci, la nervosité sera forte pour se placer devant pour éviter les pièges. Alors il est difficile d’imaginer des courses uniquement sur des routes à deux voies, on tuerait même l’essence du cyclisme, des monts pavés du Tour des Flandres, des pavés de Paris-Roubaix, des routes étroites du Monte Zoncolan. Mais il va falloir une vraie prise de conscience des collectivités et des organisations, pour remettre en état des pans de routes abimés.
Pour aller plus loin sur ce thème
Thierry Gouvenou a parlé de ces problèmes en interview
Dans notre longue interview, Thierry Gouvenou est également revenu sur l’état des routes : “Mais le vrai problème, c’est que nos routes changent, elles sont de plus en plus aménagées. Et c’est encore plus vrai pendant et après le Covid, car toutes les villes aménagent des pistes cyclables, et c’est moins de terrain pour les courses cyclistes, ce qui est paradoxal”. Le bras droit de Christian Prudhomme revient aussi sur le comportement des coureurs : “Et puis il y a un gros problème de comportement dans le peloton. Il n’y a plus de respect entre les coureurs. Forcément, quand l’un fait une erreur, cela fait d’énormes chutes”.
Il évoque aussi le matériel : “Il y a aussi des problèmes de matériel, ne l’ignorons pas. Des mecs qui se font éjecter de leur vélo dès qu’ils freinent, ça n’est pas normal, l’aérodynamisme sur l’ensemble du matériel augmente la vitesse, et la vitesse est un facteur aggravant dans les accidents. En dix ans, peut-être que l’on a gagné 10% de vitesse en descente. Ces 10% rendent les choses plus dangereuses”