BENOÎT VAUGRENARD – L’ART DU CONTRE-LA-MONTRE

Le cyclisme sur route est souvent vu sous le prisme de l’effort alors qu’il s’agit d’une discipline tactique avec les stratégies d’équipes et des parcours différents. Alors que les étapes de montagne ont la part belle auprès des fans, c’est souvent le contre la montre qui fait office de juge de paix lors des épreuves comme le Tour de France ou le Giro. Benoît Vaugrenard, Champion de France de la discipline, nous explique ce particularisme dans son sport.
Benoît Vaugrenard
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Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.

Le cyclisme sur route est souvent vu sous le prisme de l’effort alors qu’il s’agit d’une discipline tactique avec les stratégies d’équipes et des parcours différents. Alors que les étapes de montagne ont la part belle auprès des fans, c’est souvent le contre la montre qui fait office de juge de paix lors des épreuves comme le Tour de France ou le Giro. Benoît Vaugrenard, Champion de France de la discipline, nous explique ce particularisme dans son sport. 

J’ai toujours adoré le foot. Mes parents m’ont inscrit dans le club de foot local, à Plumelec. C’est seulement vers 12 ans que j’ai commencé le vélo, dans mon village à côté de Vannes, avec mes copains.

Mon frère ainé de 6 ans en faisait déjà en club. Pour ma part je continuais à être plus attiré par le foot, mais à force d’aller rouler avec mes amis, j’ai de plus en plus apprécié et j’ai finalement pris une licence en minimes à 14 ans. Mon père était le président du club, le Véloce Vannetais, c’était donc un environnement familial.

À partir de la catégorie junior, j’ai commencé à avoir de bonnes sensations avec quelques bons résultats. J’ai été sélectionné en équipe de France et j’ai participé aux Championnats du monde de ma catégorie. À ce moment-là, je me suis dit « pourquoi pas faire une carrière » même si c’était encore un peu tôt, car beaucoup de choses peuvent se passer, mais forcément on commence à y penser sérieusement.

Je suivais bien sûr le cyclisme à ce moment-là et des coureurs comme Richard Virenque ou Laurent Jalabert étaient des modèles. C’était une des belles époques du cyclisme français.

SE BATTRE CONTRE LE TEMPS

Mon premier contre-la-montre s’est déroulé lors d’un challenge national cadet, je m’en rappelle encore, c’était dans le Cantal. Il y avait tous les meilleurs français de ma catégorie et j’ai terminé 3ème. Je me suis rendu compte que j’avais sans doute cette capacité à pouvoir rouler vite et longtemps sur cette discipline.

Pour moi, on naît sprinteur, on naît grimpeur ou on naît rouleur. Me concernant j’avais découvert assez jeune des capacités pour rouler. C’est vrai que nous sommes longilignes généralement, il faut avoir une bonne posture sur le vélo, car contrairement aux sprinteurs ou au grimpeur on se met rarement en danseuse, l’assise est donc très importante pour une question d’aérodynamisme.
Et dernière chose, il faut aimer l’effort. Un contre-la-montre est un effort constant, sur des dizaines de minutes, à l’inverse d’un sprint qui se passe sur quelques secondes par exemple. Il faut donc pouvoir tenir cet effort aussi bien physiquement que mentalement.

Il est vrai que nous avons vu des coureurs qui n’étaient pas spécialement bons sur un CLM, mais qui à force de travail ont rattrapé leurs lacunes. Mais il y a beaucoup de coureurs qui ont d’autres capacités, et qui ne seront jamais très bons sur un CLM.

C’est vraiment un effort à part, il ne suffit pas d’être endurant, car être endurant c’est pouvoir rouler longtemps, mais pas forcément vite, là il faut les deux.

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Me concernant je préfère les chronos courts, une dizaine de kilomètres et un peu vallonné. Je ne suis pas un fan du plat. Les longs chronos ne sont pas vraiment ceux où je performe, car je ne suis pas le meilleur rouleur. C’est important de connaître ses capacités et ses points forts, moi j’aime les changements de rythme.

Une des particularités du CLM est qu’il peut se faire en individuel ou en équipe. Il faut savoir que ce n’est pas du tout la même chose. Aller à son rythme, gérer ses efforts, ses coups de moins bien, relancer quand il le faut et quand on le peut, accélérer, tout cela est déjà compliqué seul. Imaginez à 7, 8 ou 9 coureurs!

C’est là où la cohésion rentre en jeu. Il faut beaucoup se parler, définir qui doit donner le rythme, continuer à avoir une bonne communication pendant l’épreuve pour ne pas laisser tomber quelqu’un et savoir à quel moment on peut placer des accélérations et des relances.

D’autant plus que dans une équipe, nous avons tous des rôles différents et donc des capacités différentes. Quand nous avons un grimpeur ou un sprinteur dans un CLM par équipe, il faut prendre en compte ses spécificités. Mais il y a des sprinteurs qui performent très bien en CLM par équipe, ils sont guidés et arrivent à suivre et prendre le rythme en s’abritant derrière les rouleurs. Et à l’inverse un rouleur va avoir tendance à subir les à-coups des autres et il n’aimera pas ça. Dans mon cas au départ je n’étais pas adepte des CLM par équipe, mais avec du travail en équipe maintenant on arrive à diminuer ces à-coups et lisser l’effort, ce qui les rend plus agréables pour moi. Bien sûr le coureur qui est bon en CLM individuel sera un des leaders et un élément moteur pour le CLM par équipe, il fera notamment des longs relais.

Par exemple avec mon équipe de la Française des jeux on a beaucoup travaillé là-dessus, on a d’ailleurs fait des progrès. Dès notre prochain stage ce mois-ci en décembre nous allons recevoir les vélos de CLM et nous allons donc faire quelques séances dessus. Travaillez toutes ces petites choses techniques, se remettre dans les roues après un rondpoint, après un virage, que le premier n’accélère pas trop. Ça paraît simple, mais un petit décalage à la relance de la part du premier peut faire boule de neige et le 8ème se retrouve déjà à plus de 10m derrière.

CHAMPION DE FRANCE 2007

D’un point de vue individuel, depuis 2003 j’avais tendance à préparer le Championnat de France de CLM, pour des résultats mitigés. Ce n’est jamais évident de le préparer, on se met beaucoup de pression sur le dos, et donc cette année-là j’avais décidé de ne pas le préparer. Je voulais faire le tour de Suisse pour changer, et j’avais des bonnes jambes, je suis sorti de cette épreuve en forme. Trois jours plus tard, il y avait ce championnat, le parcours me convenait bien où c’était vraiment que de l’asphalte, et donc les conditions étaient optimales pour moi.

La principale raison de ma performance est dans le fait que c’était ma journée, une de mes meilleures depuis mes débuts. Il y a des moments comme cela, assez inexplicable où on se sent pousser des ailes. On a les jambes qui poussent toutes seules. Le parcours était très vallonné, je me rappelle surtout de la dernière côte à 2km du finish où j’étais à l’arraché pour basculer, mais quand tu sais que tu vas jouer le titre, tu te surpasses ! J’ai passé la ligne, et vu que j’étais premier, plus personne n’a finalement amélioré mon temps. C’était une énorme joie et une grande fierté de remporter ce titre. Et bien sûr le soir, petite coupe de champagne avec mes collègues ! Mais pas d’abus, car le dimanche il y avait la course en ligne.

Contrairement aux autres années, là j’avais eu un début de saison mitigé, j’avais été malade, blessé et j’avais donc peu couru. Il y avait même eu une hésitation quant à ma participation au tour de France. D’habitude j’étais en forme à partir du mois d’avril. Cette année-là c’est venu beaucoup plus tard, vers juin.

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C’était mon tout premier titre de champion de France et ma première victoire chez les pros. Vous imaginez bien le bonheur ressenti. D’autant plus que pendant un an on a donc la chance de porter le maillot de champion de France à chaque course de contre la montre.

Je me rappelle la première fois où je l’ai enfilé pour une course c’était quelques jours plus tard au départ du Tour de France à Londres. C’était un beau moment, on ressent une fierté forcément et cela m’a sans doute aidé pour ce prologue où je termine 10ème. Ce restera un beau souvenir de rouler dans les rues de Londres avec ce maillot.

En parlant de la Grande Boucle, c’est vrai encore plus maintenant on le voit on ne peut pas négliger le CLM si on a l’ambition de gagner ce Tour. C’est une épreuve clé avec la montagne. Des lacunes dans ce domaine peuvent condamner un coureur qui vise le maillot jaune. Je pense qu’aujourd’hui ce sera très difficile de gagner un Tour sans être un minimum rouleur, même en étant un grimpeur exceptionnel et même si le parcours est très montagneux.

Des coureurs excellents en CLM ont gagné le tour de France grâce à ça. Wiggins, Evans ont fait la différence notamment sur cette particularité.

LE CONTRE-LA-MONTRE, UN BESOIN POUR PERFORMER SUR LE TOUR

Pour le public, c’est sûr qu’au niveau spectacle ce n’est pas aussi théâtral ou sensationnel qu’une étape en montagne avec des rebondissements, des montées de col avec un affrontement direct. Le contre-la-montre se fait avec des départs fractionnés donc forcément il n’y a pas vraiment de duel physique, on se bat plus sur le moment contre le chrono. Je comprends, par exemple Wiggins en 2012 a tout fait au watt, tout était prévu, tout était calculé, le tour n’était pas trop montagneux.

Aujourd’hui un coureur comme Tom Dumoulin pourrait profiter d’un tour similaire à celui de 2012 pour faire une perf, il pourrait même le gagner.

Celui de 2018 s’annonce plutôt favorable pour lui, avec notamment des pavés, des chronos par équipes sachant qu’ils sont champions du monde en titre avec Sunweb, et en montagne il a prouvé qu’il avait aussi des qualités en ayant gagné le Giro. Dumoulin m’a étonné dans ce Tour d’Italie et c’est vrai que je me dis aujourd’hui, oui ça peut être le successeur de Froome. On connaissait ses qualités de rouleurs, on n’avait pas de doutes là-dessus, mais ses qualités de grimpeur nous ont surprises pendant ce Giro. Il a été malmené et il avait une bonne équipe autour de lui, mais il y avait des équipes meilleures à côté donc quand on voit ce qu’il a réussi à faire on ne peut qu’être optimiste pour la suite. Quand on voit comment il est posé sur le vélo, c’est magnifique.

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Côté français, Bardet peine un peu plus sur les CLM, mais il faut aussi se rappeler qu’il n’était pas dans une bonne journée pendant le tour 2016 donc c’était d’autant plus compliqué. Mais il le sait et je pense qu’il y travaille. C’est un coureur intelligent et il a une bonne équipe avec lui, s’il progresse là-dessus il aura ses chances également. Il travaille la position, je pense, rien qu’avec ça on peut gagner un peu de temps. Thibaut Pinault par exemple s’est vraiment amélioré alors qu’il n’était pas si performant à la base.

Froome quant à lui a une vraie expertise dans ce domaine. Il a une bonne cadence, il gère très bien son effort. Il a une bonne position et c’est vrai que son équipe a sans doute le meilleur matériel actuellement. Ça ne fait pas tout, mais tout combiné, ça joue et il faut reconnaître qu’il est tout simplement très fort.

L’aspect mental joue énormément et le fait de savoir qu’on ne performe pas aussi bien que les autres leaders peut jouer. On part avec ça en tête et l’aspect psychologique peut nuire également à la performance, on sera moins concentré ou on fera des petites erreurs, car on aura dans le coin de la tête cette petite inquiétude. Mais comme les autres aspects, il faut le travailler, avec des préparateurs mentaux. Avoir un déclic à une course peut aider, je pense que Thibaut Pinault a peut-être eu ça à une course en réalisant qu’il pouvait rivaliser. Ça peut permettre de passer de la 50ème place à la 20ème.

En CLM on a eu un français qui était très bon en la personne de Sylvain Chavanel, qui était une référence. Latour est champion de France et a montré de belles qualités. Thibaut Pinot également, il est toujours placé dans les courses.

Pour les jeunes, je pense qu’au-delà des performances, il faut essayer de prendre du plaisir. Finir 80ème, 100ème, tant qu’on prend du plaisir c’est le principal. Ça peut paraître bateau, mais dans notre sport c’est important, car les efforts demandés sont tellement importants et violents pour le corps que si l’on n’éprouve aucun plaisir, on ne fera pas long feu. Dans le CLM c’est pareil, il faut aller à la recherche de tous les petits détails à l’entraînement, que ce soit de trouver la posture idéale pour ne pas vous faire mal comme de trouver son rythme.

Je me souviens de Carlos Da Cruz qui était notre leader au circuit de la Sarthe. Il se retrouve à devoir leader le CLM, de 12km. Il me dit « mais attends d’habitude je les fais en dedans, là je vais devoir le faire à fond. Je joue quand même le classement général ».  Il s’est demandé comment il allait faire, et c’est là qu’on se dit qu’au final il faut toujours le travailler.

Aimer son vélo, avoir envie de mettre sa combi,  de grimper sur son vélo, ce sont des petites choses qui sont importantes. Les sensations viendront par la suite.

BENOÎT

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