Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
La sprinteuse de l’Équipe de France d’athlétisme, Ayodélé Ikuesan, nous raconte son parcours pour arriver au plus haut niveau sur la ligne droite et nous prouve qu’une sportive se doit d’avoir des passions à côté de sa discipline pour faire le vide.
(Crédit photo Une : FFA)
Mes parents aiment le sport et ce sont eux qui m’ont transmis cette passion. Mon père jouait au foot, et ma mère faisait de l’athlétisme. Ils sont d’origine nigériane et j’ai donc eu cette chance d’avoir une double culture.
J’ai commencé l’athlétisme à 12 ans, j’ai fait d’autres sports avant comme du basket, du volley, mais je n’étais pas spécialement douée. J’aimais bien courir quand j’étais en primaire et je me suis dit « pourquoi ne pas essayer l’athlétisme ? ». Je me suis donc inscrite dans un club pas loin de la maison, à Championnet Sports dans le 18ième arrondissement de Paris.
Quand on commence l’athlé jeune on touche un peu à tout. J’ai essayé le cross, les lancers, les sauts, le sprint et finalement c’est dans cette discipline que je réussissais le mieux. À cette époque Marie-José Pérec était l’idole de toutes les jeunes athlètes, moi comprise ! J’aimais beaucoup Marion Jones également et Michael Johnson. J’adorais le sport et c’est vrai que quand on voyait Johnson courir, on avait l’impression que c’était facile. Je me disais que je pouvais faire la même chose, mais une fois qu’on débute l’entraînement, on se rend compte que faire un 400m par exemple est vraiment très dur. J’aimais le football également et plein d’autres sports. En grandissant à Paris le sport est un moyen de s’aérer un petit peu et c’est une activité accessible à tous.
J’avais d’autres passions également étant jeune, j’adorais la musique (j’aime chanter à la maison !). L’écriture était aussi quelque chose que j’appréciais. J’écrivais tout le temps, notamment des contes que l’on racontait au collège, c’est complètement à l’opposé du sport, mais j’adorais.
L’arrivée au haut-niveau s’est faite petit à petit. Au départ je faisais de l’athlé juste par passion et pour retrouver mes copines en club. Au fur et à mesure j’ai commencé à progresser : médailles en compétitions départementales, capitaine d’équipe au match Paris-Bruxelles, victoire en championnat régional et finalement qualification pour les Championnats de France. Ma carrière était lancée. J’ai été championne de France cadette en salle sur 60m et sur 100m puis championne de France junior sur 60m, et bien d’autres titres en espoir également. Ma première sélection en équipe de France était un match en salle lorsque j’étais cadette où on affrontait l’Allemagne et une autre nation européenne.
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En gagnant des médailles l’ambition augmente forcément, donc il n’y pas eu un vrai déclic, mais ça s’est fait naturellement. Tant que je me faisais plaisir je continuais et l’envie grandissait. Pour mes parents il était indispensable de continuer mes études, et c’était un bon équilibre.
Je me rappelle d’un championnat de France cadette en 2001 à Dreux, Paris n’avait pas eu les Jeux de 2008 et mon coach de l’époque m’avait dit “ne t’inquiète pas, tu seras à Pékin en 2008”. Je lui avais dit “oui bien sûr” de façon ironique, n’y pensant pas du tout et finalement je me suis retrouvée à Pékin effectivement. On en reparle quand on se revoit, il a cru en moi et les rencontres que l’on fait durant une carrière peuvent être déterminantes.
C’est grâce à tous ces éducateurs et aux gens qui m’ont fait progresser que je suis membre de l’Équipe de France depuis 2007.
MISER SUR LES ÉTUDES POUR S’AFFRANCHIR DU PRÉSENT
Concernant les études mon parcours est un peu atypique. J’ai fait une première année médecine, mais c’était très compliqué avec le rythme des entraînements et des compétitions, j’ai ensuite basculé sur une licence en biologie. À la suite de cette licence je ne voulais pas travailler dans la recherche donc j’ai fait une année à Science Po, le certificat préparatoire pour sportifs de haut-niveau, afin d’avoir des bases plus généralistes et de préparer les concours d’entrée aux écoles de commerce.
J’ai été prise à Kedge Marseille en master ESC, ce qui me permettait d’avoir une double compétence, scientifique en biologie grâce à ma licence et donc plus business avec du marketing, finance, etc, dans cette école de commerce. J’ai travaillé en tant que chargée d’études marketing et chargée d’essais cliniques dans le domaine de la santé à la suite de mon diplôme.
La carrière sportive n’est pas évidente sur le long terme. Il y a un investissement conséquent au niveau personnel sur le temps accordé aux entraînements, la récupération et les compétitions, mais également un aspect financier important pour tout le matériel, les déplacements sans compter les dépenses du quotidien. C’est aussi une des raisons pour lesquelles beaucoup de très bons jeunes sont obligés d’arrêter. Ayant poursuivi mes études j’ai pu m’assurer un bon travail par la suite, le cumul des deux n’est pas toujours évident au quotidien, mais aujourd’hui je ne suis pas inquiète pour mon après-carrière. Je suis actuellement consultante en conduite du changement et scrum master.
LE BESOIN DE TROUVER DU PLAISIR AILLEURS
Comme je vous le disais, j’ai souvent eu d’autres passions qui m’accompagnent depuis toute jeune. L’une d’elles est présente depuis une dizaine d’années, le Street art. J’ai toujours aimé l’art, et cette forme me rappelle peut-être mes racines parisiennes. Mon mari a fait une école d’art donc on a cet intérêt commun et il partage ses connaissances avec moi, on va souvent voir des expositions ensemble.
Le Street art est quelque chose qui est peut-être un peu plus accessible, peu importe les connaissances que nous avons. J’avais des amis qui en faisaient, ils m’ont invité à des expos, à des vernissages et j’ai trouvé ça chouette. C’est assez varié, des personnages aux écritures, et il y a des tonnes de courants et styles différents.
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Je m’y suis essayée, mais je n’ai pas du tout de talent donc je me contente d’apprécier les œuvres des autres. Ça me rappelle un peu l’athlétisme dans le sens où ça parait simple quand on regarde quelqu’un faire un trait à la bombe par exemple, et une fois qu’on le fait soi-même on se rend compte de la technique nécessaire à avoir. On se retrouve avec un trait irrégulier, qui coule d’un côté et qui est quasi invisible de l’autre. Et là on se rend compte qu’il y a un travail énorme derrière pour avoir une œuvre digne de ce nom.
J’ai habité Marseille qui est une ville avec une communauté importante de graffeurs donc j’en ai profité. J’allais voir les lieux qui leur sont réservés pour graffer. Maintenant je dirais que j’aime beaucoup Banksy, Brusk ou C215. Banksy parce qu’il détourne des images pour faire passer un message ; Brusk pour les traits, la couleur, l’esthétique de ses toiles. C’est un mouvement assez jeune, dynamique, j’aime ça.
Dans l’athlétisme il peut y avoir une notion de grâce, bien que nous recherchions l’efficacité avant la beauté du geste. Mais à notre façon nous sommes aussi des artistes, non ?
Ces différentes passions me permettent de déconnecter de temps à autre du sport. En ce qui me concerne, je n’ai pas eu besoin de me forcer pour avoir d’autres centres d’intérêt, mais je pense que c’est important pour trouver un équilibre. Avoir des amis en dehors du sport avec qui on parlera d’autre chose que de mon dernier entraînement.
C’est mon conseil : pratiquer des activités où il faut se faire plaisir afin trouver un équilibre. Un sportif peut aussi se sentir bien en étant tout le temps lié au sport, mais pour les autres je pense qu’il faut chercher assez tôt des centres d’intérêt différents pour décompresser, se vider la tête et s’ouvrir à d’autres loisirs.
Mon objectif est d’être performante jusqu’en 2020 et de me qualifier à mes 3èmes Jeux Olympiques à Tokyo. Mon après-carrière je la vois sereinement, car j’ai mon bagage déjà en poche.