Aurore Fleury – “Mon objectif : Etre championne de France”

Entretien avec la Aurore Fleury qui revient de loin, avec une année 2020 marquée par un burn-out, dont elle a su se relever. Elle évoque ses objectifs.
Meeting de Lyon
Meeting de Lyon

Dans une semaine dernière marquée par d’énormes performances françaises et internationales, le chrono d’Aurore Fleury est passé un peu inaperçu. Pourtant, avec son 4’08”62 sur le 1500 m de Montreuil mardi dernier, Aurore Fleury a frappé un grand coup. Cela faisait 10 ans et les 4’03”02 de Hind Déhiba, qu’une Française n’avait pas couru aussi vite. A 27 ans, la Nancéienne explose sur la scène française. Elle a d’or déjà battu son record personnel, qui datait de 2016, de sept secondes. Entretien avec la demi-fondeuse qui revient de loin, avec une année 2020 marquée par un burn-out, dont elle a su se relever. Vous la retrouverez la semaine prochaine à Madrid sur 1500 m et ce week-end à Troyes, sur 800 m.

Crédit photo : Aurore Fleury

AURORE FLEURY – JE VIS ET JE RESPIRE ATHLETISME

Ces 4’08, je savais que je pouvais les faire, je ne l’ai pas ressenti comme un exploit. Après, il y a de bonnes séances à l’entraînement et concrétiser en compétitions. J’étais persuadée d’être capable de faire cette performance, mais je suis hyper heureuse d’avoir pu le faire. En produisant de belles courses. Je peux faire mieux et je reste concentrée, même si deux records en deux 1500m c’est très bien.

Je connais l’athlétisme et je m’y intéresse, je vis athlé et je respire athlétisme. Et je sais ce que c’est de changer de dimension. Courir moins de 4’10 au 1500 m, c’est intéressant. Mais il faudra aller plus vite pour faire partie des meilleures et participer aux grands championnats. C’est une barrière franchie, d’autant que peu de Françaises l’ont réalisé. Je suis fière, mais je n’ai pas encore ce sentiment d’avoir changé de dimension. Cela dépend de plein de choses et dont la performance est reçue. Et cela a été reçu de manière presque fantomatique (rires). Je suis fière de moi mais cela reste là et je ne dirais pas que j’ai changé de dimension. Je suis focalisée sur mon travail et mon entourage et moi sommes contents de ce qu’on a fourni et de ce que cela représente. Même si je ne suis pas sûre, que les gens soient vraiment au courant.

LE DEMI-FOND FRANÇAIS EST EN TRAIN DE BEAUCOUP BOUGER

L’émulation française me motive beaucoup. Je n’ai pas pu courir en 2020, cela a été compliqué après le confinement et je n’ai pas fait de saison estivale. J’ai vu les Bérénice Fulchiron et Alice Finot faire des 4’11. Ce sont des amies, j’étais hyper contente pour elles, mais je me disais : “Moi aussi j’ai envie de le faire”. Cela m’a vraiment motivée.

Le demi-fond français est en train de beaucoup bouger, notamment chez les hommes. C’est top et inspirant. Chez les filles, on sort la tête de l’eau, car je sais bien que le demi-fond féminin, à part deux ou trois filles au-dessus, on avait du mal à montrer qu’on pouvait faire des performances. Je trouve que cela bouge et je suis contente de faire partie de celles qui sont en train de progresser et de se montrer. On se rapproche des meilleures européennes et la prochaine étape sera de faire des grands championnats. On concrétise le petit souffle nouveau observé depuis trois ans.

AURORE FLEURY : ÊTRE LA PREMIÈRE FRANÇAISE À PASSER SOUS LES 4’10 DEPUIS LONGTEMPS

Pour être honnête, j’avais ce challenge depuis trois ans, d’être la première française à passer sous les 4’10 au 1500 m, car cela faisait longtemps que cela n’avait pas été fait. Notre génération n’avait pas encore su le faire et je voulais être fière de moi, en me disant que j’allais être celle qui allait déclencher cela. Mais les filles qui vont courir à Marseille demain soir (NDLR : ce soir), sont capables de le faire. Si ma performance peut les aider à le faire aussi, je serais ravie. On doit continuer à travailler, car nous ne sommes pas encore au niveau qu’il faut. Il faut continuer le boulot.

Pour en arriver là, j’ai dû faire des choix. Je suis ostéopathe et jusqu’à l’année passée, j’avais trois cabinets. J’ai fait un burn-out. Je travaillais 40 heures par semaine et j’essayais de m’entraîner. Sachant que je n’avais pas pu m’entraîner pendant le confinement, j’ai voulu rattraper le temps perdu. Ce burn-out a été une prise de conscience, que je ne pouvais pas continuer comme cela. J’ai abandonné un cabinet et je travaille moins. Je me suis permise de partir en stage également. Habituellement je partais une fois, deux maximum et pas longtemps. Là, je suis déjà partie trois fois trois semaines, ce qui est énorme pour moi.

LE BURN-OUT : UNE PRISE DE CONSCIENCE QUE JE NE POUVAIS PAS TOUT FAIRE

Concernant le burn-out, clairement, à un moment c’est mon conjoint qui m’a dit qu’il fallait que je lâche un cabinet. Il m’a fait comprendre que je me trompais, que je ne pouvais pas tout faire. J’ai fait des choix, lâché ce cabinet qui était à 1h30 de chez moi. Une fois cela fait, tout a été déclenché positivement. Je me suis dis que l’athlé devait être la priorité et que j’aurais le temps plus tard pour mes cabinets et d’avoir beaucoup d’argent. J’ai un train de vie relativement faible, parce que je me consacre à l’athlétisme, qui est un sport éphémère. Il ne faut pas avoir de regrets. Je voulais trop tout faire et j’ai redéfini mes priorités. Et à partir de ces décisions, tout a été tout seul. J’avais la possibilité financière et matérielle de le faire, même si ce n’est jamais agréable d’arrêter des choses qu’on avait commencé, mais il faut savoir faire des choix. Cela a payé et c’était un mal pour un bien.

Je suis travailleuse indépendante et quand je pars, je n’ai pas de salaire. Il faut que je réfléchisse bien. Mais cela vaut le coup, car à chaque fois que je pars en stage, je sens que je passe des caps. Je peux davantage m’entraîner et me reposer. En une semaine, je change de dimension à l’entraînement et cela me fait énormément de bien. Cela a changé les choses. Depuis cet hiver, je vais voir un psy et je pense que cela m’a beaucoup aidé.

AURORE FLEURY – JE ME SENS TRÈS CHANCEUSE

Je m’y retrouve, car j’ai un métier où le taux horaire est relativement élevé. Je gagne bien ma vie et je me sens hyper chanceuse, même si j’ampute mon salaire de 30 à 40%, ce qui est un sacrifice. A part celle de mon club, il n’y a aucune autre aide financière. Il faut trouver l’équilibre en termes de fatigue. A terme, j’aimerais réduire un peu plus mon temps de travail, pour pouvoir m’entraîner. Je suis encore limitée, niveau organisation et je suis à la minute près. Dès que je veux doubler dans la journée, c’est le branle-bas de combat. Je devais courir à Marseille, donc j’avais posé trois jours. Finalement je ne cours pas pour des raisons de calendrier. J’avais une fin de semaine blindée et je devais tout changer, appeler 40 patients. Niveau organisationnel, c’est compliqué.

On n’a pas envie de tout le temps déplacer les patients. J’ai une collègue, mais je ne veux pas trop lui en mettre sur le dos. C’est une grosse charge mentale de travailler à coté, surtout quand on est indépendant et qu’on a son entreprise. C’est largement plus compliqué que le volet financier qui, lui, est light.

IL FAUT DONNER LA CHANCE À TOUT LE MONDE

Mes records, je ne pense pas que ce soit une question de maturité physique. C’est juste lié à mon parcours. Je n’ai pas fait d’études aménagées et personne ne s’est vraiment dit que je pouvais être bonne, même si je n’ai jamais été très mauvaise. Je viens d’un petit village, un petit club d’athlé très loisir, où le but n’était pas de faire de la compétition à outrance. Et c’est durant mes études à Paris, où j’ai côtoyé Thierry Choffin et Renelle Lamotte, au sein de Fontainebleau. J’avais fait des choix pour l’athlé, mais sans qu’on me donne le parcours adéquat pour que je performe jeune.

Plus que les études aménagées, il faut qu’on donne la chance à tout le monde. Si on m’avait mis dans une structure où l’athlétisme était la priorité et même si j’avais gardé mon cursus scolaire, car je suis studieuse, j’aurais pu plus facilement croire en moi, avoir un coach plus compétent dès le début. J’ai connu Thierry Choffin, j’étais déjà en Espoirs, en étant dans une petite structure et en m’entraînant seule. Il me manquait un cadre. Je ne considère pas les études comme un frein, au contraire j’ai connu une forte progression en Espoirs et en pleine étude. Je m’entrainais énormément, tout en bossant beaucoup.

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AURORE FLEURY – AVANT D’ARRIVER À FONTAINEBLEAU JE M’ENTRAINAIS DEUX FOIS PAR SEMAINE

Les gens pensent que je suis devenue forte tardivement, mais mon record datait de 2016, à 22 ans. Je fais 4’15 ce qui me semble pas si mal. Mais les gens pensent que je sors un peu de nul part. On est en 2021, gagner 7 secondes en 5 ans, ce n’est pas énorme. Il faut vraiment donner sa chance à tout le monde, qu’il y ait davantage de structures proches des petites villes et des provinces. Car on est vite limité dans des petits clubs. On manque de moyens, on ne nous emmène pas forcément aux compétitions. On ne nous explique pas qu’en nous entraînant plus, les performances arrivent.

Avant d’arriver avec Thierry Choffin, je m’entraînais deux fois par semaine et encore, parfois ça m’arrivait de ne pas m’entraîner car j’étais seule et que c’était difficile. Pourtant j’avais l’ambition d’être forte (rires) car j’ai toujours adoré l’athlé. Mais on ne nous en donnait pas les moyens. Thierry il m’a dit : “Tu n’as rien de moins que les autres filles”. Pourtant je les voyais comme des idoles. Il a dit : “Maintenant, on va courir, même s’il faudra rattraper le temps perdu”. Il avait raison car en trois ans, je passe de 4’45 à 4’15 au 1500 m. En s’entraînant sérieusement, on progresse très vite et facilement.

ETRE CHAMPIONNE DE FRANCE – MON PRINCIPAL OBJECTIF

Les minima seront très durs. Je ne me donne pas de barrières pour le moment et pour le futur, car c’est le meilleur moyen de se crisper. Cependant, en toute transparence, mon potentiel est actuellement autour de 4’06. Mais sur une course parfaite, le jour parfait, il peut y avoir un gros 4’04. Il faut que mon corps s’habitue à courir vite.

J’espère intégrer les Diamond League en France (Paris et Monaco). Généralement, ils invitent les champions de France et il faudra que je gagne le titre, ce que je n’ai pas su faire jusque là. C’est d’ailleurs mon objectif premier. Après, si j’arrive à courir un peu plus vite, je serais confiante pour aller sur ce genre de meetings. Après, rien n’est fait et je dois encore confirmer certaines choses. Monaco est une belle compétition où il y a de grosses courses. Il ne faudra pas se mettre de barrière, sinon cela ne sert à rien d’y aller. Mais déjà, Madrid sera une grosse course. Si j’arrive à bien courir, le chrono pourrait bien descendre. Mais je veux gagner et être en forme aux France.

AURORE FLEURY – JE VEUX PROFITER DE L’INSTANT

Je n’ai pas la prétention d’être championne olympique un jour. Je veux être bien classée et faire des grands championnats. Il faut que je progresse. Au niveau mondial, cela progresse en densité, mais on sait quels chronos il faut faire pour participer aux évènements. Quand on commence à faire moins de 4’05, on y est. Même les filles régulières sous les 4 minutes, elles peuvent faire 4’03 le jour J et on peut tirer son épingle du jeu si on termine fort les courses. Je cours le plus vite possible et ce que cela m’amènera sera que du bonus. Car je veux profiter de l’instant, l’athlétisme ne dure pas longtemps dans une vie et on a de la chance de pouvoir vivre de telles choses. J’ai envie de profiter à fond des moments. Je suis reconnaissante d’avoir assez de talent pour courir vite. Il faut profiter et donner tout ce que je peux, pour ne pas avoir de regrets.

Pour l’anecdote, cet hiver, c’était la première année où j’étais sur les listes, grâce à ma participation aux Europe de cross. C’était le bon timing (rires). Tout comme pour Alice Finot, qui était dans le même cas que moi, à un âge plus avancé que la plupart des parcours plus classiques. C’était vraiment l’année pour y être (rires). J’ai pu courir cet hiver et aller aux France.

AURORE FLEURY

Avec Etienne GOURSAUD

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