Benoit Durand est l’une des voix de France TV lors des championnats d’Europe d’athlétisme qui ont débuté ce matin à Munich. Comme cela a été le cas au mois de juillet, lors des mondiaux à Eugene. Il retrace son parcours, comment il est arrivé au journalisme sportif ! Il parle aussi de son expérience de commentateur télé et de comment il ressent le commentaire. Et évoque également les Français aux championnats d’Europe. Benoit Durand est positif sur les chances des Français à briller durant cette compétition
Crédits : France Télévision
Le compte twitter de Benoit Durand : ICI
(interview réalisée dimanche 14 aout)
BENOIT DURAND – MON EXPÉRIENCE EN PRESSE ÉCRITE A ÉTÉ PRIMORDIALE
J’ai toujours beaucoup regardé le sport à la télé et dans les stades. A l’origine, je ne voulais pas être forcément journaliste sportif, j’y pensais un peu,mais je voulais être professeur aussi. J’ai fait une fac de lettres et langues à Poitiers. Comme je n’avais pas énormément d’heures de cours, j’ai commencé à faire des piges dans la presse écrite régionale à la Nouvelle République, pour les sports. Cela a été enrichissant, avec le recul, c’est une expérience primordiale car cela apporte de la rigueur et le réflexe d’aller chercher et recouper les informations. Un réflexe que tu gardes. Puis tu vas au contact des gens. J’ai trouvé cela génial de remettre les mots dans l’or et cela ne me déplairait pas de refaire de l’écrit de temps en temps.
J’ai ensuite fait pas mal de papiers pour le journal Sud-Ouest, que ce soit à Saintes, Royan et même Bordeaux. Et puis j’ai connu la télé d’abord à France 3 en région et j’ai adoré. La force de l’image, les émotions dégagées en direct, j’ai toujours trouvé que c’était incomparable.
J’ai découvert le sport à Saintes, en touchant à tout (foot, rugby, hand). En étant bon nulle part mais j’aimais le sport. J’ai fait beaucoup de hand, car c’est le sport phare là-bas. Mais j’ai découvert l’athlétisme, car mes potes y étaient. J’y allais pour les voir plus que pour être dans la performance pure. Et j’adorais cette ambiance, l’odeur du tartan, la beauté de la gestuelle dans toutes les disciplines. C’est resté en moi.
L’EXCITATION A LA VEILLE DE COMMENTER LES ÉPREUVES
La veille de commencer à commenter une compétition, il y a toujours de l’excitation. Tu ne sais jamais à quoi t’attendre, ce qu’il va se passer. Il y a 4 ans, qui aurait pu prévoir les trois essais mordus de Kévin Mayer à la longueur ? Tu connais le programme et le menu, mais il y a plein de surprises dans les plats ! La réalité, c’est que tu es dans la dois être dans la réactivité, c’est un challenge d’être rapide et juste alors que tu ne sais pas ce qu’il va se passer et c’est vraiment cool. Et enchainer deux compétitions en trois semaines c’est énorme. Je ne l’avais jamais fait ! Même si j’ai d’autres sports, une fois que les mondiaux d’athlé sont passés, en termes de commentaires purs, tu y replonges que six ou huit mois après. Là, j’ai beaucoup bossé à Eugene et tu repars trois semaines après et tu es encore dedans.
La veille, tu as vraiment envie que ça commence, comme pour les athlètes. Il y a ce mélange de stress et d’excitation.
BENOIT DURAND – ETRE CAPABLE DE VULGARISER LE SPORT POUR TOUT LE MONDE
Chaque commentateur a ses techniques de travail et est très différent. Je ne suis pas très fiches. Je vais noter des informations ici où là et surtout beaucoup lire. Mais pas d’avoir une fiche complète. Que ce soit les journaux principaux de sport, mais je vais voir ce qu’il se dit sur les réseaux, je lis la PQR, je cherche à revisionner des reportages ou des compétitions, je cherche des petites histoires, pas seulement des chiffres. Pour coupler ce qu’il se dit et faire ma tambouille. Il faut se plonger ailleurs, pour glaner les infos. L’idée ça reste de raconter une histoire. Quand tu as vécu le moment, tu arrives à garder les choses. C’est la déformation du métier où il faut garder l’essentiel, car tu ne peux pas tout raconter. Le cerveau fait le tri de lui-même. Tu gardes les choses qui t’ont marqué. Plus tu vis, mieux cela revient après. Je pense que cela fluidifie ta façon de commenter, car cela ressort plus naturellement.
Il faut être capable de vulgariser, encore plus parce qu’on est à France TV, sur une chaîne généraliste. On ne touche pas que des gens qui aiment le sport. J’avais eu ce discours à Tokyo sur le volley, sport que je connais bien, mais que je devais vulgariser ce sport. Il faut se mettre à la place de celui qui connaît bien moins. Alors oui, on peut penser qu’on pose une question un peu bête, mais c’est fait exprès pour qu’un consultant éclaire les gens. Cela permet d’éclairer des gens qui connaissent moins. Car, quand tu es suivi par 2 millions de téléspectateurs, tout le monde n’est pas spécialiste. Tu ne peux pas tout dire à l’antenne, mais ce n’est pas grave. Et l’athlétisme c’est un sport d’instantané. En cyclisme ou en tennis, tu peux meubler car il y a le temps. Mais le danger c’est de vouloir placer ton info à tout prix, alors que l’essentiel c’est le moment.
ACCOMPAGNER LA PERFORMANCE AVEC TES MOTS
Sur la perche par exemple, on essaye d’analyser la foulée, on parle des coachs. Cela permet de comprendre, sans être trop technique, que, par exemple, si tu es trop proche du butoir, dans tes marques de passage , tu ne passeras pas la barre. On peut parler de la rigidité des perches, des poteaux. Cela permet aux gens de ne pas juste voir un mec en l’air qui franchit une barre. Cela lui permet de s’intéresser, car plus tu comprends la chose, plus on te donne des clés et plus t’es susceptible de t’y intéresser. Notre rôle c’est de s’emballer quand tu es pris dans le truc, c’est normal de transmettre l’émotion du moment. Sans oublier d’éclairer les gens. C’est une alternance moments forts/moments d’éclairage.
Il n’y a pas un commentateur qui vit le direct de la même manière. J’essaye de me laisser porter sans surjouer le moment. Si cela m’emballe, cela se ressent mais je ne me dit pas : “Allez, il faut s’emballer”. Kévin Mayer est un des athlètes que je connais bien et de l’intérieur. Mais je me suis dit à Eugene : “Attention à ne pas en rajouter pour rien”. Plus tu rapportes cela à toi, plus tu vas lui voler “son moment”. La star c’est l’athlète sur la piste. Tu dois accompagner cela avec tes mots et plus tu es naturel, plus tu peux faire ressortir ton émotion du moment dans ta voix. C’est un challenge là aussi d’être performant dans les moments importants en direct, mais sans ramener la chose à toi.
DIFFICILE DE SE LAISSER GAGNER PAR UNE ÉMOTION, TOUT EN RESTANT DANS LE CONTRÔLE
Lors des JO au volley, je me suis pas dit : “Il faut que tu places telle ou telle expression”. Ce n’était pas calculé, sur Duplantis à Eugene ce n’était pas calculé. Il ne faut pas surjouer une arrivée de 1500 m en décathlon par exemple si on sait depuis le javelot qui va gagner. Ce serait même malvenu alors qu’on connaît le scénario de la course. Pour Mayer, l’émotion est plus forte lors du lancer de javelot où à la perche où il est au bord du 0. Idem à Londres en 2017, où c’est la perche son plus grand moment. Le décathlon est spécial pour cela, car le moment le plus important n’est pas forcément l’épreuve numéro 10 !
C’est difficile de se laisser gagner par une émotion, tout en restant dans le contrôle. Donc il y a des fois où l’émotion prend le dessus quelques secondes et c’est normal on est humain. Mais il ne faut jamais perdre de vue ce qui se passe
BENOIT DURAND – J’ESSAYE DE ME RATTACHER A CE QUE L’ON VOIT
J’essaye de me rattacher à l’image, à ce que l’on voit. Je repense à Duplantis, ce qui m’intéresse de suite c’est de voir à quelle hauteur il est au-dessus de la barre, les hanches le bassin. On se rend compte que le point le plus bas est 8 centimètres au-dessus. On se rend compte que c’est du délire et qu’il est virtuellement à 6,29 m. A Tokyo au Volley, je suis pris par l’émotion, cela dure 5 secondes, mais de suite, il y a le challenge des Russes. Le match n’est pas fini et il ne faut pas se laisser gagner que par l’émotion. On n’est pas dans le canapé avec les copains. Il ne faut pas oublier qu’il y a toujours quelque chose qui se passe à l’image.
Je ne suis pas très expressions toutes préparées. Si cela me vient c’est dans les minutes qui précèdent.
BENOIT DURAND – J’AIME CE RENVERSEMENT DANS UN CONCOURS
Le sacre olympique du volley est une émotion particulière car on suit cette équipe et qu’on vit les choses de l’intérieur. On se souvient des dix ans passés avec eux, dès le départ quand personne ne croyait en eux. On se souvient des dix pas passés avec eux. Le tennis, l’athlétisme c’est très fort aussi en direct aussi, mais on peut être super ému aussi sur le terrain en reportage. Comme avec Kevin Mayer en 2017 à la perche, où il sauve son décathlon. On voit Kévin Mayer franchi sa barre au dernier essai et c’est waouh ! Tu joues tout un décathlon sur ça ! Tu vois que les autres n’arrivent pas à s’en remettre et tu es pris par les émotions des autres.
Tokyo, le volley c’était dingue, car on les connait depuis toujours et c’était mal parti. C’est d’ailleurs un point commun avec l’athlétisme. On peut passer par tellement d’émotions avec des gaps énormes. C’est ce que j’adore dans les concours, ce côté renversement sur une seconde. Le dernier essai de la perche. Mayer qui fait 5m au dernier, pour finalement aller chercher 5,40 m. J’ai aussi un gros souvenir d’un reportage autour de Renaud Lavillenie quand il va arracher le bronze en 2017. Il rate un essai, fait impasse et passe en étant sur une jambe. C’était une médaille de bronze, mais elle vaut de l’or. Tu vois l’émotion de Philippe d’Encausse. Mais c’était déjà ça, quand j’étais petit, je pouvais pleurer devant ma télé pour du sport. Je suis juste de l’autre côté, mais l’émotion est déclenchée pareil. Et je continue à les vivre, mais je ne dois pas faire n’importe quoi.
JE NE ME DIT JAMAIS : “LA TU VAS BOSSER”
Actuellement, je me rends à la rencontre des athlètes français pour les conférences de presse avec les médias avant le début de la compétition (interview réalisée dimanche après-midi) J’essaye de me tenir au courant de l’actualité, rester au contact de ceux que je connais bien. A Eugene, j’étais allé voir quelques coachs, prendre un café. Pas forcément pour l’info, mais parce que cela me fait plaisir de les voir, tu prends vraiment un café avec quelqu’un que tu apprécies, que tu as plaisir à revoir. Cela permet de prendre des nouvelles, de comprendre leur état d’esprit, faire la part des choses entre ce que tu peux dire ou pas. Mais cela reste du plaisir et on ne parle pas que athlé. Jamais je me suis dit : “vas au boulot”. Je ne m’oblige à rien et je ne veux pas être dans la démarche de gratter de l’info à tout prix ! C’est une question de relation humaine et de confiance. On n’est pas là que par intérêt, sinon la relation n’est plus la même.
Je ne suis pas bon en pronostics (rires). Pour les médailles, je reste persuadé qu’un Renaud Lavillenie peut aller chercher un podium et je ne suis pas le seul à penser au vu de ce qu’on a vu à Eugene. Il n’était pas loin des 5,92, s’il passe il fait médaille. Je l’aime bien, je trouve que même dans le dur il sait réagir. Thibaut Collet ne sera peut-être pas loin, c’est ouvert pour le podium. A la longueur, il y a la place derrière Tentoglou. Même s’il ne fait pas 8,17 m tous les jours, un Jules Pommery, s’il sort ça le jour J, il n’en sera pas loin. Pour le grand public, cela pourrait être une surprise, car il n’est pas connu. Mais quand tu suis l’athlétisme, tu sais qu’il y a de la place.
BENOIT DURAND – HÂTE DE VOIR KEVIN MAYER ENCHAINER DEUX DECA EN TROIS SEMAINES
Les marcheurs peuvent faire quelque chose aussi. Renelle, si elle a récupéré de Eugene, elle fera un truc ! Je ne parle même pas des garçons sur 800 où on peut en retrouver peut-être plusieurs sur le podium. Mais c’est intéressant le fait qu’ils soient 99, le public va découvrir de nouvelles têtes. Il faudra jongler dans tous les sports. Les hurdlers dont PML ne seront pas loin. Lui a fait 13”26 à Monaco et monte en puissance, pareil pour Zhoya qui est en 13.21 à Monaco, ça promet. Wilfried Happio sur 400 m haies, on ne peut pas parler de surprises. Quentin Bigot va encore se battre pour le podium, nos relais seront biens aussi je pense. Sans oublier Jimmy Gressier, les marathoniens et j’en oublie. Je suis plutôt positif. C’est marrant, car à l’inverse de Eugene, on va commencer par le décathlon et j’ai hâte de voir les trois premières épreuves de Kévin Mayer.
Il a dit à la presse qu’il avait un peu mal partout, qu’il pouvait peut-être s’arrêter. Mais l’appétit vient en mangeant. S’il fait 10”60 et 7,50 m… Tant qu’il ne se blesse pas, car il a tellement souffert de blessures, en 2019 notamment qu’il ne veut pas se replonger dans un gros bobo. Mais si à la fin de la matinée il est dedans, il pourra peut-être assurer la hauteur, pour s’économiser. Il a de la marge au niveau européen. C’est la première fois de sa vie qu’il va enchaîner deux déca en trois semaines. C’est la première fois depuis 2016 où en fait deux la même année. Et je suis très curieux de voir cela. C’est aussi cela l’excitation, car on est un spectateur comme les autres. Si j’étais chez moi, je regarderai quand même. Là je suis au stade à passer de chouettes moments et entouré de gens sympas. On parle athlé, on apprend plein de trucs avec Stéphane Diagana.
Je ne m’imaginais pas commenter ca un jour. Je me rappelle toujours que c’est un privilège d’être là. Et je me dis toujours, rappelle toi d’où tu viens pour savoir où tu vas.
BENOIT DURAND
Retrouvez notre interview de Stéphane Diagana : ICI