On n’en attendait pas beaucoup moins, mais le Giro 2020 tient déjà ses promesses. Du spectacle, des émotions, le tout dans une première semaine somptueusement théâtrale. Depuis le cadre rocailleux splendide de Matera au départ de la 6e étape à la lumière dorée qui effleurait les décors antiques de la Sicile en passant par les images apocalyptiques de l’ascension de l’Etna où le brouillard et la nuit semblaient apaiser l’aspect volcanique, renforçant l’idée d’une ascension lunaire.
La panoplie des genres théâtraux
Le théâtre était aussi présent dans tous ses genres : la tragédie, avec la triste relation qu’entretient Geraint Thomas avec la course au maillot rose, une fois de plus terminée à cause d’une chute malencontreuse ; on pourrait parler de Commedia dell’arte si l’on souhaitait revenir sur les masques portés par la bulle coureurs avant et après les étapes, qui n’empêchèrent cependant pas le contrôle positif de Simon Yates et le retour de la peur du virus ; de simple comédie, en ce qui concerne la semaine parfaite et réjouissante d’Arnaud Démare, triple vainqueur d’étape et écrasant leader du maillot cyclamen ; sans oublier la comédie musicale, avec ce bruit qui court toujours un peu plus dans le peloton quant à l’insécurité des coureurs vis-à-vis d’éléments qui concernent l’organisation de course (hélicoptère trop bas, banderoles et barrières qui empiètent sur la route, …).
Chacun son rôle
Il en reste que, malgré une représentation qui a dû être reportée à octobre et qui reste toujours en suspens à propos de sa bonne tenue en très haute montagne – les médias Italiens sont toujours plus à évoquer un escamotage des cols du Stelvio, Agnel ou Izoard -, les rôles sont bien définis depuis Palerme et le départ il y a dix jours. Filippo Ganna a respecté son rang de champion du monde de contre-la-montre en écrasant l’effort d’ouverture, décrochant le maillot rose, avant de briller en solitaire dans la nuit du Valico di Montescuro sur la 5e étape, performance de montagnard imprévue mais surtout impressionnante. Il a même porté plusieurs jours le maillot bleu de meilleur grimpeur, avant de le céder à Ruben Guerreiro hier.
Arnaud Démare Imperator du Giro
Le tricolore Arnaud Démare a découvert des sensations uniques pour un sprinteur à aussi haut niveau. Celles de courir en Imperator sur tous les emballages finaux, gobant trois succès à Villafranca Tirena, Matera et Brindisi, tantôt emmené sur un plateau par son train, tantôt seul mais génialement inspiré sur son placement et ses intentions dans le dernier kilomètre. Une razzia sans miettes pour les autres fusées du Giro 2020, chez qui l’appétit gronde et monte à la tête, comme lorsque Peter Sagan fustige la Groupama-FDJ de Démare qui aurait dû travailler samedi plutôt que de laisser filer l’échappée belle d’Alex Dowsett vers Vieste, ou quand le septuple maillot vert du Tour de France estime que son homologue français ne tient pas sa ligne lors d’un sprint. La faute des autres…
De belles histoires victorieuses
Ajoutons à cela les belles histoires de Diego Ulissi, qui ajoute un septième succès d’étape sur les routes du Giro 2020 à son escarcelle. Jonathan Caicedo, qui décrocha au sommet de l’Etna son premier succès professionnel en dehors de ses frontières domestiques équatoriennes, ou Alex Dowsett, lauréat de la plus belle course de sa carrière avant-hier et pour son équipe Israel Start-Up Nation de la première étape de Grand Tour de son histoire. Tout d’une première semaine typique sur une course qui en compte trois. Mais le Giro a toujours un tour dans son sac pour sortir de ce train-train. La bataille pour la maglia rosa a vécu d’incessants rebondissements, et semble terriblement indécise.
Un général encore sous épais brouillard
Le chrono inaugural créa une hiérarchie presque inattendue entre Geraint Thomas et ses autres adversaires Nibali (+1’06’’), Kruijswijk (+1’18’’), Fuglsang (+1’21’’) ou Majka (+1’37’’), Simon Yates fut le seul à limiter la casse avec moins de trente secondes de retard. Mais tout bascula de nouveau vers l’Etna, avec la disparition des deux britanniques des avant-postes et des écarts monstres, dignes d’une étape reine – alors qu’on était parti depuis deux jours ! Le Portugais Joao Almeida, jeune transfuge de Deceuninck-Quick Step – un de plus – prouva ses grandes qualités en haute montagne pour hériter de la tunique rose de Filippo Ganna et la conserver courageusement vers Roccaraso et le Rifugio Aremogna. Le Giro était même 100% lusitanien hier, avec le succès en costaud de Ruben Guerreiro, compatriote d’Almeida, devant l’ibère Jonathan Castroviejo.
Son maillot rose ne tient malgré tout plus qu’à un fil, et il fallait le voir souffrir sur les terribles dernières pentes de la 9e étape assez loin derrière les plus forts des favoris. Les équipes Sunweb et Trek-Segafredo avaient effectué un travail de sape destiné à user les organismes en vue des dernières rampes. Wilco Kelderman et Jakob Fuglsang se sont extraits du groupe maillot rose pour reprendre quelques secondes importantes. Au général, Almeida conserve 30 secondes de marge sur Kelderman, 53 sur Pozzovivo, 57 sur un Nibali en difficulté ce week-end. Fuglsang est relégué à 1’01’’, Konrad à 1’11’’, Majka 1’17’’ et Kruijswijk, qui ne rassure toujours pas, se trouve à 1’24’’ de la tête. On attend vite le second acte de ce Giro 2020, rien n’est fait.
Mathéo RONDEAU