Les Champs Elysées en septembre, le Duomo de Milan fin octobre, le Palais de Cibeles à Madrid, mi-novembre. Imaginons quelqu’un, qui aurait proposé cette idée d’enchaîner Tour de France, Giro d’Italia et Vuelta a Espana en à peine trois de mois, et en plus de les courir durant l’automne. Il y a un certain temps, une place aurait vite été trouvée dans un centre spécialisé. Y a-t-il plus fou ? Dans un monde où le président d’une superpuissance, alors que son éta t le plus peuplé brûle, annonce que « ça va se refroidir », où un autre grand chef d’état est suspecté d’avoir organisé l’empoisonnement d’un opposant politique, on peut en effet probablement trouver pire. Surtout que, l’impossible n’existant pas, nous nous retrouvons bel et bien, en ce début du mois d’octobre, au départ du Tour d’Italie, deux semaines après en avoir terminé avec la Grande Boucle et quinze jours avant le lancement du Tour d’Espagne. Sans la triste pandémie de Covid-19, nous n’en serions bien sûr pas là. C’est une situation exceptionnelle, et bien soit.
Le Giro d’Italia en Octobre : une première
Pour la toute première fois dans la longue et passionnante histoire des Grands Tours, on courra donc en octobre et en novembre. C’est le pari dingue de l’UCI dans cette saison qui fut totalement chamboulée, arrêtée début mars et seulement reprise cinq mois plus tard. Mais, bien que soumis à vents et marées – et au froid, tient, on en reparlera -, ces symboles restent intacts. Le Tour de France a prouvé qu’il pouvait tout aussi bien fonctionner en dehors de sa traditionnelle case juillettiste. Le Giro, qui débute aujourd’hui en Sicile, compte bien en faire de même. Récemment, le Tour d’Italie a renoué avec ses heures les plus légendaires, offrant des scenarii de haute volée, des retournements de situation dingues et un standing de luxe, après avoir vécu un début de millénaire dans un certain anonymat, visé surtout par les transalpins. Cette année, l’approche de la course fut un peu particulière, le Giro ayant quelque peu perdu au change quant à son positionnement dans le calendrier renouvelé. Mais, qu’on ne s’y méprise pas, il y aura un joli plateau, de très beaux pions. Ne reste plus qu’à lancer le jeu.
Les difficultés très tôt sur ce Giro
Cela commence dès cet après-midi sur les hauteurs de Palerme, à Monreale, par un contre-la-montre d’une quinzaine de kilomètres. Très rapidement, la Sicile offrira ses premiers écueils, le peloton escaladera par tradition l’Etna, dès lundi. Sur un versant inédit, au final raide, la forme devra être très bonne d’entrée. La remontée de la botte s’effectuera en seconde partie de première semaine, avec deux jolies escapades montagneuses : mercredi avec le Valico di Montescuro ; et dimanche vers le Rifugio Aremogna, au terme d’une longue (207km) et exigeante (4500 mètres de dénivelé positif) journée. A ne pas manquer, la boucle autour de Cesenatico lors de la 12e étape, sur les terres du Pirate Marco Pantani. La deuxième semaine se terminera par trois jours éprouvants, avec un final de classique vers Monselice (13e étape), trente-quatre redoutables kilomètres chronométrés à destination de Valdobbiadene (14e étape), et quatre ascensions répertoriées jusqu’au sommet de Piancavallo (15e étape). Ce dimanche 18 octobre, il faudra choisir entre les pavés endiablés du Tour des Flandres, et les montées veloutées du Giro.
Le Giro d’Italia et sa troisième semaine dantesque
Après quinze jours sans doute cadenassés, sans gros écarts au général, la lutte pour la maglia rosa prendra tout son sens dans une dernière semaine terriblement éprouvante. Le final sera explosif dans les rues de San Daniele del Friuli, au terme d’une longue étape (16e étape, 229km). Le voyage dans les Dolomites vaudra le coup d’œil, et le coup de pédale, avec deux étapes longissimo vers Madonna del Campiglio (203km, plus de 5000m de dénivelé positif) et le Laghi di Cancano (207km, ascension finale de neuf kilomètres dans la foulée du mythique Stelvio). Au lendemain d’une très étonnante journée de plaine de plus de 250 bornes, les Alpes livreront leur verdict avec un ultime plat de résistance de choix. Une sorte d’enchaînement choucroute, puis cassoulet, bœuf bourguignon, et petite margherita pour finir. Comprenez le legendario Col Agnel, le désertique Izoard et les épuisantes ascensions de Montgenèvre et Sestriere. Tout cela avant de finir en apothéose au pied du Duomo de Milan, après un dernier contre-la-montre individuel de seize kilomètres.
Ce sont les coureurs qui auront la clé de la course
Alors, ne nous enflammons pas sur ce Giro d’Italia, ce menu est trop alléchant pour être totalement vrai. Il n’y aura pas de grand spectacle tous les jours, les favoris se découvriront au fur et à mesure, et surtout la neige pourrait rapidement faire des siennes. C’est bien sûr le principal inconvénient de ce déplacement du Giro courant octobre. Comment espérer pouvoir voir les routes du Stelvio sans flocons quand, quelques jours plus tôt, et à quelques kilomètres à vol d’oiseau, le monde du ski alpin aura repris la compétition à Sölden ? L’organisation de la course se prépare sans doute à passer des nuits blanches – c’est le cas de le dire – pour que ce Giro se déroule dans les meilleures conditions, le plus équitablement possible. Car avec la neige, c’est aussi le froid qui devrait accompagner le peloton durant ses aventures montagneuses. De quoi ajouter un peu plus d’épreuves encore à cette course de titans.
Un Giro d’Italia ouvert comme sans doute jamais
Des titans, il y en aura, la carte en est garnie. Seuls trois anciens vainqueurs de Grands Tours, Vincenzo Nibali, Simon Yates et Geraint Thomas, qui s’avancent avec les nord-européens Jakob Fuglsang et Steven Kruijswijk comme les cinq grands prétendants à la victoire finale. Les outsiders sont nombreux : Rafal Majka, Wilco Kelderman et Sam Oomen, qui ont déjà des repères sur ce genre d’évènements, mais aussi Aleksandr Vlasov, rayonnant cette saison. Il y aura de nombreux enjeux, de jolis sprints, une belle lutte pour le maillot cyclamen. Peter Sagan, Elia Viviani, Davide Ballerini, Arnaud Démare, Michael Matthews et Fernando Gaviria seront au rendez-vous. On surveillera si Giulio Ciccone reste accroché à la tunique bleue de meilleur grimpeur, ou s’il se dévoue pour son leader, le requin de Messine. On aura un œil sur le récent champion du monde du chrono Filippo Ganna, actuellement irrésistible dans l’exercice. Enfin, quelques jeunes pousses dont on observera les premiers pas sur trois semaines, comme Aurélien Paret-Peintre, Attila Valter, Joao Almeida, Tobias Foss, Brandon McNulty ou Jhonatan Narvaez.
Après des mois de galères, le peuple italien est enfin récompensé de ses efforts, irréprochable durant l’été et toujours très vigilant en cette rentrée. Avec le Giro, c’est un peu l’Italie qui renait, qui sort – pour longtemps, espérons-le – de ce tunnel sans fin. Fini le temps morose, place à un mois en rose.
Mathéo RONDEAU