Les pro-gamer sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet aux joueurs de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
Alors que les Worlds 2018 viennent de se conclure avec la victoire des chinois d’Invictus Gaming contre Fnatic, il est intéressant de se pencher sur la préparation d’un match compétitif. Charly Guillard alias “Djoko”, jungler en EU LCS, vous fait entrer dans la tête d’un joueur pro où communication, gestion du stress, préparation tactique et surtout créativité, sont les clés de la victoire. (Crédits photos : LoL esports )
League Of Legends est composé de multiples aspects. Je suis d’abord tombé amoureux du jeu en lui-même, il s’agissait de mon premier MOBA*, ce qui était un nouveau genre pour moi après avoir beaucoup été sur des titres comme Counter-Strike Source ou Call Of Duty.
* multiplayer online battle arena
Après huit années intensives sur le jeu, c’est désormais l’aspect compétitif que je préfère. Pour beaucoup d’observateurs, la compétition commence seulement quand le match débute, mais la réalité est différente.
COACHING MENTAL, ANALYSE VIDÉO ET ÉTUDE DES ADVERSAIRES SONT LES CLÉS D’UNE BONNE PRÉPARATION
Lors des EU LCS*, nous avons en général deux rencontres hebdomadaires. C’est donc durant la semaine précédente que nous allons commencer notre préparation en l’axant sur différents sujets comme la mise en place de tactiques agressives, l’étude de nos options offensives et défensives ou la draft qui nous permets de choisir/bannir les Champions utilisés dans le jeu. Cette dernière phase est primordiale et nous devons nous focaliser les derniers jours là-dessus pour savoir quels sont les avatars de nos adversaires que nous pouvons vaincre.
*Plus haut-niveau de compétition européen pour League Of Legends se déroulant sur deux sessions, printemps et été.
LoL évolue constamment avec de nombreuses mises à jour et cette adaptation doit se faire continuellement. Avec une excellente préparation, une partie du chemin est fait pour se diriger vers une victoire.
Comme tout pro-gamer qui se respecte, nous devons également passer par la case analyse vidéo en regardant certains matchs des EU LCS, mais aussi ce qu’il se passe en Corée du Sud où les meilleurs matchs sont joués. Nous allons aussi nous focaliser sur notre adversaire direct, dans mon cas le jungler adverse, et notamment sur son début de game en regardant dans quelle partie de la carte il va s’orienter ou bien ses premières actions.
Le mental est très important et théoriquement nous devrions avoir un coach psychologique qui devrait être présent tout au long des compétitions et disponible pendant nos entraînements afin de désamorcer toute situation négative qui pourrait se créer. L’intérêt est de détendre l’atmosphère entre les joueurs et de créer un environnement stable et sain.
Si nous avons eu un coach et un manager, nous n’avons pu compter sur ce rôle qu’une seule fois chez Giant cette année et nous avons été un peu déçus à ce sujet. J’en ai d’ailleurs parlé avec un ami de l’équipe des Schalke 04, Upset, qui m’a confié que leur parcours jusqu’en finale des EU LCS était en grande partie dû à leur psychologue.
Les joueurs sur LoL sont souvent jeunes avec un manque de maturité, ce qui peut rapidement jouer sur l’équipe en cas de mauvais résultats. De plus, si l’on devait faire un cliché, nous sommes bien moins sanguins que peuvent l’être les pro-gamer sur Counter-Strike Global Offensive qui recherchent peut-être plus de confrontation directe entre eux. C’est un mal pour un bien, car ça permet d’exposer certains problèmes alors que sur LoL, les joueurs sont plus sournois et vont en parler seulement à leur coach ou le garder pour-soi. C’est ce genre de situations que pourrait régler une personne uniquement dédiée à l’aspect psychologique et mental.
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SE METTRE DANS UN ÉTAT D’ESPRIT POSITIF EST OBLIGATOIRE POUR RÉUSSIR
Il est important d’avoir une routine avant chaque match, car c’est ce qui te permettra d’atteindre ton meilleur niveau. Dans mon cas, il s’agit d’aller à la salle de gym le matin afin de vider l’esprit et d’enlever ce surplus d’adrénaline que je pourrais avoir en plein match. Forcément, j’essaye d’avoir une bonne nuit de sommeil en amont et de manger sainement pour ne pas être trop lourd et endormie pendant le match.
J’ai beaucoup lu et travaillé sur la méditation. C’est important pour moi de visualiser en amont la scène où nous allons jouer, mes coéquipiers, mes adversaires, les casteurs et le public. Il faut accepter cet univers pour ne pas avoir ce sentiment de peur ou de stress qui traverse l’esprit de beaucoup de joueurs.
Cette phase plus mentale se continue juste avant le match où nous allons essayer de nous motiver entre coéquipiers, d’être tout le temps positif et de ne pas dramatiser l’issue de la rencontre : c’est très souvent du BO1* et ce n’est pas forcément représentatif de ton niveau.
*Best Of 1, il suffit de remporter une manche pour remporter la partie.
Ensuite, c’est au coach de prendre la parole pour nous rappeler le plan de jeu ainsi que quelques éléments sur l’équipe adverse. En tant que shotcaller (leader in-game), je prends le relais en prenant les dernières décisions stratégiques. Je vais aussi continuer d’envoyer des bonnes ondes pour que l’environnement soit le plus convivial possible entre nous. Nous sommes très soudés, chaque mot est crucial pour la performance. Je m’inspire de pleins d’athlètes et notamment de discours que j’ai pu lire ou entendre, en les adaptant pour mes coéquipiers en fonctions de leur besoin sur le moment.
LA CRÉATIVITÉ PLUTÔT QUE LE CONSERVATISME DANS UN MATCH
Le déroulement d’une partie est toujours unique, mais le début est toujours l’occasion de bien se mettre en place selon les préparations de la semaine. Au bout d’un moment, nous allons commencer à nous adapter en termes d’action ou de positionnement sur la carte du jeu, mais ces milliers de calculs se font automatiquement dans nos têtes après tant d’heures passées sur le jeu.
Je vais par exemple souvent me questionner sur le fait que mon Champion va pouvoir être plus fort que celui de mon vis-à-vis en 1v1, réfléchir à rester sur l’un de nos spots favoris comme la Botlane et envisager des 2v2 ou 3v3. Ce genre de décisions sont ultra importantes et pourraient décider du sort du match.
Dans mon rôle de jungler je pense donc beaucoup à mon adversaire direct et à son positionnement en début de partie pour savoir si je peux réussir à le tuer le plus tôt possible. La variance est grande à mon poste et il faut faire un savant calcul entre prise de risque et réussite.
L’un des conseils que j’essaye de m’appliquer est de ne pas être trop conservateur. Si tu commences à devenir prévisible avec des tactiques vues et revues, tu vas détruire la créativité nécessaire pour l’emporter. Devenir un « secure player », c’est-à-dire jouer pour ne pas perdre, n’est pas la solution. Il faut accepter le risque de perdre la partie sur des actions décisives.
Je me souviens que durant le Spring Split de cette année contre Misfits, nous étions 15 k gold derrière l’équipe adverse et dans ces moments-là tu ne peux rien faire à part rester sous tes tourelles et attendre qu’ils fassent une erreur de macro/micro gestion ce qui est rarement le cas. Mais, nous avons vu un joueur de Misfits qui a fait un mauvais call et j’ai eu ce pressentiment qu’ils étaient tous repartis à leur base. C’était donc le bon timing pour aller prendre le nashor et parier sur le fait qu’ils n’avaient pas avoir le temps d’être là à temps pour nous contrer. Le jungler adversaire est arrivé alors qu’il restait peu de vie au nashor, mais je remporte mon duel et finalement on retourne la game.
La partie était perdue d’avance, il fallait donc tenter un coup et nous avons réussi à remporter cette rencontre contre toutes attentes.
Se laisser mourir ne t’apportera jamais rien.
Un joueur comme Exileh des Unicorns of Love est connu pour ses bluffs et son agressivité. Il arrive à faire croire que ses coéquipiers sont avec lui pour se faire poursuivre par ses adversaires ce qui permettra à ses teammates de mettre la pression sur d’autres zones. C’est vraiment l’exemple parfait du joueur qui peut changer le cours d’un match par ses actions créatives que ce soit en positif ou négatif.
LA COMMUNICATION EST LA PRINCIPALE CAUSE DE VICTOIRE
Contrairement à d’autres eSports où les coéquipiers vont pouvoir communiquer dans leur langue maternelle, nous avons beaucoup d’équipes sur LoL composées de différentes nationalités. Il faut donc parler en anglais avec ses coéquipiers, ce qui va limiter le nombre d’informations à la seconde que tu peux dire, et tu vas souvent te cantonner à des explications basiques. Tout le monde ne maîtrise pas parfaitement l’anglais, il faut donc des infos sèches et directes qui limitent l’innovation en pleine partie.
Chez Giant, j’avais ce rôle de shotcaller qui me permettait de parler un maximum. Logiquement, le support doit aider dans la communication, mais cette année nous avons eu deux rookies à ces postes et ce fut compliqué pour eux à cause de leur manque d’expérience. Notre midlaner, SteeelBack, a pu m’aider, mais c’était clairement notre principal défaut, car si je faisais une mauvaise game à ce niveau-là, ça pouvait vraiment partir en vrille.
La communication est la clé de la réussite. D’ailleurs, le coach nous attribue chacun une mission liée à cela comme dire aux autres où sont les ennemis sur la carte, répéter le plan de jeu en cours de match, changer la stratégie etc…
Cette bonne communication est souvent amenée par des joueurs d’expérience. Ils apportent une sorte de confort et doivent agir comme un pilier pour l’équipe afin de rassurer tous les joueurs. Mais je ne sous-estime pas l’apport des rookies qui sont là pour instiller un nouveau point de vue et agrandir les possibilités tactiques.
L’expérience va également jouer sur la vie en communauté, notamment pour devenir une sorte de grand frère. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai souvent fonctionné comme ça depuis mes 16/17 ans en voulant être un lien entre mes coéquipiers. Je préfère voir des sourires et de la bonne humeur, car c’est bien plus productif sur le long terme. Au lieu de perdre du temps à regarder un film, c’est peut-être mieux de travailler sur cette cohésion.
POKER FACE APRÈS UN MATCH
Comme je le disais, le fait d’évoluer en BO1 permet de relativiser les défaites, mais aussi les victoires. J’ai souvent une poker face dès que la partie est finie, à moins de terminer sur une victoire improbable avec une action particulière. Je ne veux absolument pas être celui qui casse l’ambiance, mais c’est avec ce genre de routine et de régularité que je pourrais un jour viser encore plus haut.
Certaines défaites sont plus difficiles à avaler, mais j’essaye de me dire que chaque partie perdue appartient au passé. Ce n’est d’ailleurs pas la meilleure solution de débriefer ce genre de match le jour même de la rencontre, nous n’allons pas forcément être objectifs du fait de nos sentiments.
Dans le cas d’un BO3 ou BO5, la situation est différente. Malgré les situations, il faut toujours garder à l’esprit que tout est possible et il faut aller chercher ce surplus de motivation positif et le transmettre à toute son équipe. Le relâchement est aussi indispensable, simplement en s’aérant l’esprit quelques minutes entre chaque manche.
En connaissant très bien les joueurs, je me rends compte que même certains pros des meilleures équipes ont du mal à passer à autre chose après la perte d’une manche et perdent leurs moyens dans la suivante. Il faut atténuer un maximum ce côté émotionnel entre les manches afin de comprendre les erreurs et mauvaises décisions et arriver le plus relâché possible pour la suite.
L’IMPORTANCE DE PRENDRE UNE PAUSE AVEC LE JEU
Nous avons un jour de repos par semaine, mais c’est souvent le dimanche où tout est fermé. C’est donc compliqué de s’aérer et finalement ce jour devient celui de ton entraînement solo ce qui fait que tu ne t’arrêtes jamais de jouer.
C’est à mon sens le plus gros défaut de la scène LoL.
La psychologue de la meilleure équipe du monde sur CS : GO, Astralis, évoquait d’ailleurs le sentiment de dégoût qui pouvait se créer en cas de pratique trop intensive et cette perte de créativité si les joueurs ne s’amusaient plus.
Pour moi il est important de miser sur la qualité et non sur la quantité, mais ce n’est pas une pensée commune sur LoL. Pourtant aux États-Unis, les joueurs arrivent à avoir quelques breaks sans qu’il n’y ait de problèmes sur leur niveau de jeu. Vu que nous ne sommes pas qualifiés aux Worlds, cette période de pause actuelle me permet de moins y toucher après 8 mois sans vacances.
DJOKO