Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
En cette Journée de la Femme, Lénaïg Corson revient pour Sans Filtre sur sa passion pour le rugby. L’internationale française se livre sur la progression de l’ovalie au féminin, sur le fait d’être une rugbywoman et sur le long chemin pour en finir avec l’inégalité entre hommes et femmes dans le sport.
Quand j’étais jeune et que je regardais le rugby à la télévision avec mon père, je trouvais le jeu dur à comprendre, beaucoup de règles, des joueurs par terre, partout sur le terrain … je trouvais le rugby peu lisible et brutal !
C’est finalement sur le tard que j’ai été prise par le virus du rugby avec l’opportunité d’y jouer avec l’université lors de mes études à Rennes, j’avais alors 20 ans.
Auparavant, mon père m’avait déjà parlé d’une bonne équipe dans cette ville. Je voulais faire un sport collectif, mais je n’avais pas d’idée précise. Je m’étais donc dit que j’allais tenter un entraînement de toutes les disciplines par équipe pour me décider après. Au final le seul sport qui correspondait à mon emploi du temps était le rugby, donc je n’ai même pas pu tenter les autres.
Je me souviens de ce lundi soir, d’être parti sur le terrain de rugby avec mes baskets-socquettes, un short d’athlé, très loin d’avoir une tenue crédible de rugbywoman. Mais ce soir-là j’ai rencontré plein de novices comme moi et il y a de suite eu une bonne ambiance. On rigolait beaucoup, on se moquait un peu de chacune, car personne ne savait faire une passe vissée de 15 mètres. Mais on prenait tout simplement du plaisir.
J’ai vite pris goût au ballon ovale. Avec mon passé compétitif, notamment 14 ans d’athlétisme, c’est vrai que j’avais envie d’en faire plus niveau rugby, de m’entraîner davantage, car nous n’avions qu’un entraînement par semaine avec l’université. C’est comme cela que j’ai rejoint le Stade Rennais Rugby.
Finalement aujourd’hui quand je regarde un match je ne crie pas forcément devant mon écran, mais je vibre beaucoup plus qu’avant.
FEMME ET RUGBYWOMAN
Ma mère avait peur quand j’ai commencé, peur que je me casse les dents, que j’ai les oreilles décollées ou en choux fleur, que je me fasse mal… Mes amies aussi étaient impressionnées quand elles me voyaient arriver en jogging et basket avec mon gros sac de sport, pour elles j’étais un peu une guerrière, car si tu fais du rugby c’est ce qu’on pense de toi. Ça m’est arrivé de rentrer de l’entraînement et de prendre le bus avec des coéquipières, pleines de terre, et les gens se demandaient ce qu’on faisait comme sport. Ils posaient des questions comme “vous vous plaquez aussi ?” c’était marrant.
Depuis le rugby féminin a évolué, car c’était en 2009, je ne pense pas qu’ils nous poseraient les mêmes questions aujourd’hui. La médiatisation nous a aidé, on a pu montrer aux gens que nous savions jouer au rugby, tout en étant féminines. De plus nous proposons un rugby de mouvement, avec de la technique et plus d’évitements. Nous n’avons que des bons retours de la part des amateurs, mais aussi de femmes qui n’aiment pas forcément le rugby, mais qui nous trouvent vaillantes et combattantes.
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Comme je vous le disais j’ai fait de l’athlé pendant longtemps et notamment de l’heptathlon, donc une discipline très complète et je pense que ça m’a aidé pour le rugby. Il faut à la fois de la force et de la puissance, ainsi qu’une bonne pointe de vitesse que j’ai pu utiliser à bon escient dans le rugby. De plus dans l’heptathlon nous sommes avec nos adversaires pendant plusieurs épreuves donc au final on se connaît toutes et on s’encourage, l’ambiance devient conviviale, et c’est ce que j’ai retrouvé dans le rugby puissance 10.
LE RUGBY FÉMININ EN ROUTE VERS LE PROFESSIONNALISME ?
Le professionnalisme dans le rugby est quasi inexistant, mais on tend vers cela. Personnellement je suis quasi pro avec 22 autres filles en France dans le sens où nous avons un contrat avec 75% de notre temps dédié au rugby et 25% dédié aux études ou à un travail. J’ai la chance en ce qui me concerne d’être salariée chez GMF et je peux partir en stage ou en compétition plus librement et récupérer plus tard mes heures de travail.
On voit bien que s’entraîner tous les jours nous aide énormément à être prêtes physiquement, techniquement, et que tous ces petits détails qu’on travaille au quotidien sont primordiaux pour le haut-niveau. Effectivement pour être plus performante il faut s’entraîner plus, et qui dit s’entrainer plus dit moins de temps pour avoir une activité à côté.
Mais je pense quand même que garder un pied dans le monde du travail est important. Dans le sport de haut-niveau, on peut vite se retrouver dans un microcosme et nous sommes un peu coupés de ce qui se passe à l’extérieur. On sait tous qu’une carrière sportive a une fin, et avoir une activité professionnelle en parallèle permet d’une part de faire valoir ses compétences, de s’aérer l’esprit, de rencontrer des personnes extérieures au rugby, et d’autre part de préparer sereinement la reconversion.
Nos entraîneurs de l’EDF à VII prônent la multi activité, c’est pour cela que nous jouons toujours en club à l’instar des garçons qui sont dédiés au rugby à VII. Le fait de souvent changer d’équipe ou de discipline entre le VII et le XV nous donne cette fraîcheur, comme s’il y avait toujours un nouveau challenge et pas de lassitude. En étant sportive de haut-niveau c’est une des choses les plus dures, garder de la fraîcheur et de l’appétence en cassant la routine et ne pas sombrer dans un cycle monotone.
Je pense avoir trouvé le fonctionnement idéal, avec un pied dans le monde de l’entreprise et l’autre dans le rugby qui me permet de vivre de ma passion au quotidien.
HOMMES/FEMMES, MÊME COMBAT ?
Les inégalités entre hommes et femmes dans le sport sont les mêmes que dans l’entreprise. On voit très peu de femmes aux postes à forte responsabilité. Ça peut être le fait que les femmes privilégient la vie familiale, ou peut-être qu’elles n’osent pas, ou l’on ne nous fait pas confiance ou l’on ne se fait pas confiance pour des postes de direction. Il y a d’autres inégalités, de salaires notamment. Là encore les choses bougent lentement. À titre d’exemple, en janvier, en Australie, les rugbywomen et rugbymen perçoivent le même salaire.
L’arrivée de sportives reconnues qui trônent dans de hautes fonctions aide à faire évoluer les mentalités à l’image de notre Ministre des Sports, Laura Flessel.
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Il y a toujours des gens contre le rugby féminin et qui ont une image ancestrale de ce sport. Nous sommes conditionnés dès le plus jeune âge, les jeunes filles s’habillent en rose et jouent à la poupée et les petits garçons en bleu et jouent au foot, aux voitures, etc. C’est donc difficile d’accuser quelqu’un, on ne change pas la société en un clin d’œil, mais petit à petit. Nous continuons à nous structurer dans le rugby féminin et ce serait bien de voir quelques femmes de plus dans les prochains postes à responsabilité au sein de notre fédération. Le foot peut être un exemple dans ce domaine dans le sens où il y a une présidente, Nathalie Boy de la Tour, à la tête de la Ligue de Football Professionnel. Il y a également Corinne Diacre qui fût la coach d’une équipe professionnelle masculine (Clermont Foot) pendant les trois dernières années. Ce sont sans doute les deux seuls cas en France au niveau pro, mais c’est déjà un pas en avant.
Un des beaux symboles de notre sport était de voir Margaret Alphonsi (Internationale anglaise) être ambassadrice de la Coupe du Monde de rugby masculine en Angleterre en 2015. Je ne suis pas sûr qu’on verra cela en France d’ici peu, j’espère me tromper et peut-être qu’en 2023 ce sera une femme également, en tout cas c’était un très beau message de la part de l’Angleterre.
On voit que le sport féminin, en général, pêche en notoriété et en médiatisation, pour le hand ou pour nous il a fallu faire de très bons résultats pour avoir un peu de visibilité, c’est dommageable pour le développement de ces sports. Mettre des quotas dans les médias serait peut-être une solution : quand on peut lire les journaux ou regarder les émissions sportives, les premiers gros titres sont sur le football masculin, et ensuite les miettes sont pour le reste. Il y a des dizaines de sports qui sont très peu médiatisés et le constat est encore pire pour les féminines. C’est regrettable.
Nous concernant nous avons quelques liens avec les joueurs du XV de France quand nous les croisons à Marcoussis. Les joueurs nous suivent et nous avaient affiché beaucoup de soutien lors de la dernière coupe du monde en Irlande, notamment sur les réseaux sociaux. Ça nous a fait chaud au cœur de se savoir soutenues. C’est très agréable d’avoir leur reconnaissance et ils avaient donné un bel exemple en nous encourageant et en nous prenant au sérieux.
Je finirais sur un point, on nous demande parfois ce qu’il y a de féminin dans le rugby. Je pense que nous n’avons pas à prouver que nous sommes féminines et qu’il y a des aspects féminins dans le rugby. Nous exprimons notre féminité aussi bien à la maison, dans la rue ou sur le terrain, mais nous n’avons pas besoin de nous en justifier. En revanche il y a un ADN propre peut-être au sport féminin, on nous dit souvent qu’on ne lâche rien, qu’on donne vraiment tout sans jamais tricher. Nous sommes généralement très soudées, on l’a vu dans les autres équipes de France de hand, foot ou basket, et je confirme que dans le rugby cette notion est très forte. On se bat en équipe et rarement de façon individuelle.