YVES LE BLEVEC : MON TOUR DU MONDE À L’ENVERS

Alors qu’Yves Le Blevec vient de prendre le départ de son Tour du monde à l’envers ce samedi 4 novembre, découvrez la préparation d’une telle performance. Il nous fait découvrir son parcours, son trimaran de 100 pieds, la vie durant une navigation en solitaire mais aussi son équipe Actual.
Yves Le Blevec
© Thierry Martinez / Sea&Co
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Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.

Alors qu’Yves Le Blevec vient de prendre le départ de son Tour du monde à l’envers ce samedi 4 novembre, découvrez la préparation d’une telle performance. Il nous fait découvrir son parcours, son trimaran de 100 pieds, la vie durant une navigation en solitaire mais aussi son équipe Actual.

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J’ai grandi en région parisienne, comme on dit on ne choisit pas sa famille ni l’endroit où on grandit. Mes parents sont bretons et ont une culture maritime décente. Mais comme beaucoup de bretons à cette époque ils ont dû monter sur Paris pour travailler et y ont fait toutes leurs carrières. Nous revenions à toutes les vacances sur la côte. Mes parents ont fini par prendre un pied-à-terre sur l’île d’Oléron et nous avons acheté un petit bateau qui nous permettait de nous balader entre La Rochelle et Bénodet, le long de la côte avec tous ces petits ports atypiques, j’en ai encore plein de bons souvenirs. Tout ça me passionnait et mon père était abonné à Revue Bateaux, Les Cahiers du Yachting , Neptune Nautisme que je dévorais de façon beaucoup plus assidue que mes manuels scolaires. Je me suis donc construit à cette époque ma culture maritime, aussi bien en plaisance qu’en course au large. Je rêvais de pouvoir intégrer cet univers-là.

Je n’ai en revanche pas eu une trajectoire très directe, ce milieu n’est pas si facile à intégrer. Ça s’améliore aujourd’hui avec les filières sportives et donc des passerelles qui existent pour accéder à ce monde-là. Mais c’est vrai que je n’imaginais même pas pouvoir accéder à ce milieu, donc je suis rentré par la construction navale après mon bac. Je travaillais sur les chantiers. Je me suis finalement retrouvé à La Trinité-sur-Mer, en Bretagne, il y a plus de trente ans (1986).

MES DÉBUTS DE NAVIGATEUR

Et puis dans les années 2000, après donc des années à travailler sur les chantiers navals, malgré le fait que j’apprenais plein de choses au niveau technique très interessantes, j’ai tout envoyé balader et je me suis rapproché de ce qui me plaisait vraiment. J’ai donc acheté un petit bateau et j’ai commencé des mini transats. En 2001 j’ai rencontré Actual (agence d’Interim) nous avons fait nos premiers partenariats et c’est là où je me suis rendu compte que mon rêve d’aller naviguer au large et en solitaire était possible et réalisable.

J’ai un souvenir très précis de mon arrivée d’une mini Transat à Salvador où en 2001 je me suis dit que j’étais content d’arriver, mais que si je pouvais continuer encore en mer ça serait top ! J’étais complètement en phase avec le bateau, avec moi-même et ça a été un moment clé, qui m’a convaincu que j’allais continuer dans cette voie.

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Par la suite j’ai enchaîné pas mal de projets. Avec le recul je me dis donc que j’ai une trajectoire
un peu atypique, mais pas si inefficace dans le sens où j’ai appris beaucoup de choses avant sur tous les éléments d’un bateau et au final cela a été plein de petites pierres pour me construire et me permettre d’être le navigateur que je suis aujourd’hui.

Il y a un objectif avec Actual à moyen terme qui est le tour du monde des ultimes en 2019. Avant cela, il y a du temps et donc d’autres projets possibles. Il y a un an, voyant l’hiver 2017/18 avec peu d’événements au programme, on s’est demandé ce qu’on pouvait proposer et ce qu’on pouvait faire avec le bateau, un multicoque de 31 mètres. Une idée aurait été de partir de New York, vers la mi-juillet, il y avait une possibilité qui était de passer par Panama et aller dans le Pacifique, car il y a des records à prendre dans cet Océan, ça m’aurait bien fait marrer, c’est toujours agréable d’aller dans ce coin-là pour un skipper, mais pour Actual c’est vrai que ça n’aurait pas eu le même impact médiatique. Mais on pouvait aussi aller du côté du Groenland, ça peut faire des belles images du bateau dans des endroits peu communs, avec les glaciers. Il y avait aussi des records en Atlantique, en fait pas mal de choses (une dizaine de projets).

En discutant avec Christian Dumard qui est le météorologue avec qui je travaille, il y avait cette opportunité de faire le tour du monde à l’envers. D’autant plus que j’ai le bateau pour le faire. Évidemment en proposant ça dans la liste nous savions que ça allait être le projet qui allait attirer l’attention. C’est vrai que pour le sponsor ça permet d’avoir un vrai projet et de se démarquer totalement, ce qui correspond bien aux valeurs d’Actual, le fait de mener une stratégie un peu non conventionnelle et d’innover.

UN TOUR DU MONDE D’EST EN OUEST

Dans la préparation de ce tour du monde 2019, c’est parfait dans le sens où on met en place un projet dans lequel je vais naviguer loin, longtemps, dans des conditions imposées et compliquées. C’est ce qui va me permettre d’enrichir mes connaissances sur le bateau et la façon de le mener. Mais aussi de me tester personnellement, car il y a des passages où j’ai des petites zones d’ombres sur la façon dont cela va se dérouler. Ce ne sera pas drôle tous les jours.

J’étais vraiment séduit par ce tour du monde à l’envers, car c’est un projet ambitieux, un beau défi, et cela parait évident dans ma progression et par rapport à ce que je suis capable de faire aujourd’hui. Après dans un second temps il y a des questions pour lesquelles je n’ai pas tous les éléments de réponses, et cela m’interpelle. Au plus profond de moi-même j’ai envie d’aller chercher quelque chose d’un peu extrême, j’ai envie d’avancer, de découvrir et de me tester également. Mais oui on connaît les risques et c’est ce qui me plait. Mais jusqu’où j’ai envie d’aller et qu’est-ce qui me pousse à vouloir aller si loin, cela m’intrigue. Il y a un côté égocentrique, qui est que si jamais je vais au bout de ce projet, je serais la 6ème personne à avoir bouclé un tour du monde à l’envers. Ça peut être présomptueux, mais ça me motive et je pense que tout sportif, tout compétiteur a ce côté-là.

Depuis l’hiver dernier nous nous préparons, le bateau a subi de gros travaux : gréements, mats, voiles. Il avait 10 ans donc il fallait un petit coup de jeune. Nous sommes 8 personnes dans l’équipe. Moi, je parle aux journalistes et je navigue sur le bateau…oui j’ai le beau rôle en apparence, mais c’est un job de direction, avec tout ce que ça comporte.

Il y a deux personnes à qui je délègue énormément de choses : Sandrine, ma compagne, qui s’occupe de toute la partie administrative, logistique, relations partenaires et des soins du skipper. Ronan, qui est sur la direction technique et qui coordonne toutes les actions techniques à faire sur le bateau. Et ensuite il y 4 personnes sur la partie bateau, Loïc qui est responsable des voiles, gréement et accastillage avec Christophe qui s’occupe donc de l’accastillage et de la partie mécanique. Florian s’occupe lui de la partie composite. David est la personne responsable des systèmes électriques, électroniques et informatiques. Et enfin Christian qui est mon routeur et mon météorologue. Cette notion d’équipe est importante, il y a une dimension humaine qui rentre en jeu et il faut que l’esprit soit positif tout le temps.

UN TRAVAIL D’ÉQUIPE

Il faut savoir que oui je suis celui qui part sur le bateau pour une course en solitaire, mais 80% du travail est fait en amont par le team, c’est un vrai sport d’équipe. Pendant toute cette préparation, l’équipe doit à chaque fois se mettre en condition de navigation et s’interroger sur ce qu’il peut se passer, comment résoudre le moindre problème le plus rapidement possible avec le moins d’effort possible, avoir des solutions de rechange, etc. Pour qu’une fois que ça m’arrive vraiment sur le bateau, je sache quoi faire. Après bien sûr je peux rentrer en contact avec le team quand je suis à bord s’il y a un souci majeur.

Il y a une personne que je peux contacter H24, c’est Christian, ce qu’on appelle le routeur donc le météorologue, qui assure une veille H24. On se contacte toutes les 12H à minima, car ça correspond au rythme du rafraichissement des données météo. Et bien sûr je suis en contact constamment avec Sandrine notamment pour des raisons personnelles, mais aussi avec Ronan au minimum tous les deux jours avec qui on a un entretien formel en compagnie de Christian et Catherine (qui est l’attaché de presse), car elle écrit le « roman » du périple et les textes destinés à la presse et aux sponsors. J’envoie également des photos et vidéos pour montrer un peu la beauté des endroits par lesquelles je passe 😉

Concernant le bateau, le poids est un facteur de performance donc le but est de limiter dans la mesure du possible le chargement. Dans mon cas avec ce bateau, nous pouvons dire que j’ai un peu de marge sur ce défi, car le delta de vitesse avec le bateau utilisé pour le précédent record est important. Je devrais pouvoir améliorer le temps qui est de 122 j 14 h 3 min 49 s, record du Tour du monde à l’envers, baptisé également “Global Challenge” et qui est entre les mains de Jean-Luc Van den Heede depuis 2004. J’ai un peu plus de liberté cette fois sur le poids et la priorité sera sur la fiabilité. Je ne vais pas pour autant installer un frigo américain ! Il n’y a jamais de superflu sur un bateau.

TOUS SAUF UNE CROISIÈRE

Pour la nourriture, nous avons des rations quotidiennes. Les menus sont divisés en trois catégories en fonction des zones, tempérée, chaude, ou froide. Nous n’amenons pas d’eau, nous utilisons un dessalinisateur pour la rendre potable, en contrepartie nous prenons quelques compléments, car l’eau est pure et donc sans minéraux. La seule contrainte est qu’il n’y a pas de réfrigérateur, donc nous pouvons tout prendre tant que ça se conserve à température ambiante. En général on prend de l’appertisé, des aliments qui sont stérilisés et mis en conserve, ou du lyophilisé c’est-à-dire du déshydraté qui se reconstitue avec de l’eau bouillante. Le lyophilisé est plus intéressant en terme de poids, mais pas en terme de goûts ! Donc il faut essayer d’alterner pour ne pas éprouver de lassitude et ne pas manger assez au bout d’un moment. Et je n’amène pas d’alcool, même si j’aime boire des coups comme tout le monde, mais sur un bateau qui plus est en solitaire il faut être vigilant et capable de réagir à chaque instant et l’alcool altère énormément la lucidité.

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Concernant le sommeil, il faut dormir au moins 6h par jour. Par contre ce temps est fractionné, dicté par les conditions météorologiques. C’est-à-dire que si je suis dans des conditions stables je peux me permettre de dormir sur des périodes plus longues, mais elles ne dépassent jamais 1h. Dans des conditions instables ce sera plutôt des périodes de l’ordre du 1/4 d’heure, mais on récupère quand même et rien que le fait de s’allonger et de se détendre, c’est bénéfique et récupérateur. Mais de toute façon nous sommes réveillés par le moindre changement de vent, de mer, d’angle, donc on s’habitue à ce rythme. Et la clé est de trouver le niveau de fatigue qui va être suffisant pour pouvoir s’endormir facilement, mais pas trop important pour pouvoir être réveillé si besoin. L’expérience aide bien sûr.

Cette fois je vais rester seul pendant plus ou moins 90 jours. Cela génère en moi une curiosité, pas une inquiétude. Il y aura une évolution, mais j’ai confiance. Il y aura des hauts et des bas évidemment, mais j’imagine que mon regard existentiel va évoluer.

Aujourd’hui grâce aux nouvelles technologies nous avons plus de solutions pour emporter quelques loisirs. Une tablette ou un ordinateur avec un disque dur plein ou vide ne pèsent pas plus lourd. Donc je la charge avec plein de livres, séries, films et podcasts. Je prends aussi un peu de musique et une enceinte portable, comme les ados.

Une fois en mer, peu de choses me manquent de la terre ferme, il n’y a rien de vital, et nous avons cette sensation de liberté. L’environnement est finalement assez simple, avec des règles simples, et un contrat avec notre environnement qui est simple. Pour moi je trouve ça donc plus facile que dans notre société où on est tenu d’obéir à un tas de conventions, à un tas de règles, qui sont dites et non dites. Et cela fait donc partie des choses que je vais chercher en solitaire, cette liberté intérieure où ma seule contrainte est la force et la direction du vent que j’ai et que je vais avoir, et l’échange avec le bateau et la gestion technique. Oui ma famille, et pouvoir remplir son verre de vin autour d’une table avec des amis me manquent, mais je sais que ce n’est qu’une période définie et que je le referai en rentrant.

YVES

Suivez en temps réél le Tour du Monde à l’envers d’Yves Le Blevec ici :

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