Cyclisme – Julian à l’infini [Edito]

Julian dans tous les coeurs
Julian dans tous les coeurs

Julian Alaphilippe champion du monde continue d’entrer dans nos cœurs

Crédit : DR

Le chef d’œuvre de Thomas Voeckler

Pour des gens comme lui, les rêves existent. Ils frappent même deux fois. L’image est symbolique, elle prêterait à sourire, d’aucuns ont pleuré. Les traits tirés, le corps vidé mais les bras levés, Julian Alaphilippe coupe la ligne d’arrivée des championnats du monde de cyclisme, à Louvain. Comme il l’avait fait, il y a moins d’un an, sur la ligne droite du mythique circuit d’Imola. Les deux clichés sont troublants de ressemblance, le puncheur savoure son exploit, la voie vers l’arc-en-ciel est libre. Il va devenir champion du monde, personne ne peut revenir derrière. Version actualisée : il va devenir double champion du monde, personne ne peut revenir derrière.

L’histoire pourrait paraître complètement tordue, un peu comme le parcours alambiqué qui était proposé aux coureurs de cette 100e édition du Mondial. En fait, elle est tout à fait simple et logique. Ce dénouement est le résultat d’un amalgame parfait, un délicieux cocktail entre un coureur complètement dingue, un collectif solide comme un roc et un chef d’orchestre de génie, allez, osons-le. C’est déjà un peu pour ça que la donne est simple comme tout. Tout ce qui a fonctionné l’an passé était reconduit. Thomas Voeckler a apporté sa science de la course et sa folie pour donner un rythme incroyable aux premières heures de selle, comme il l’avait demandé en Italie il y a quinze jours, aux Championnats d’Europe.

Une incroyable équipe de France autour de Julian

L’effectif au complet s’est immiscé dans les coups ou s’est chargé de la protection des éléments clés. Clément Russo, Rémi Cavagna et Anthony Turgis ont travaillé durant la première moitié de la course, Benoît Cosnefroy a lancé un coup plutôt zinzin à 180 bornes de l’arrivée, et aura sans doute passé autant de temps en danseuse qu’assis. Christophe Laporte et Arnaud Démare, les deux cartes sprint, auront passé les trois quarts de l’épreuve à l’avant. Il restait deux pièces maitresses. Valentin Madouas et Florian Sénéchal, qui finiront d’ailleurs tous deux dans le top 15. Le premier fit preuve d’une caisse phénoménale, présent dans une échappée avec Evenepoel avant d’être repris, et lancer finalement, comme l’élastique qu’on lâche, Julian Alaphilippe dans les derniers kilomètres. Sénéchal, en très grande forme, n’aura pas été utilisé en trouble-fête, mais aura a merveille joué son rôle de casseur de relais.

Il reste donc à parler du désormais double tenant du titre. Il faudra résumer, on ne pourra dire tout ce que l’on pense. Une, deux, trois, quatre, cinq, six. Les attaques successives de Julian Alaphilippe sont folles, leur répétition carrément impressionnante. Alors que le peloton revenait sur l’échappée Evenepoel/Madouas dans le circuit d’Overijse, qu’il restait encore soixante kilomètres, le puncheur de la Deceuninck QuickStep tenta déjà sa chance. Il voulait tester ses adversaires, les user aussi. A 52km de la ligne précisément, on n’y voyait déjà plus très clair, quand il sortit un pétard que l’on classera 7 sur l’échelle de la Gallisterna. C’était une première, c’était trop tôt ! A plus d’une heure de l’arrivée, Alaph avait décidé d’ouvrir les vannes du lactique.

Le gratin égratigné

La recomposition fut incomplète ensuite : seize coureurs avaient survécu au premier feu d’artifice et se fonçaient à toute balle sur Louvain. Van Aert, Van der Poel, Mohoric, Valgren, Colbrelli, Pidcock, le gratin est là. Mais il y a un affamé qui ne va rien laisser aux autres. 24km, 20km, 18km. Alaphilippe distribue les attaques comme des gifles toujours plus fortes pour ses adversaires. Bientôt, cela ne suivra plus. Bientôt, l’horizon va s’ouvrir. Dans la côte de Saint-Antoine, la route très étroite est propice au démarrage fatal. Il avale les quelques 250 mètres d’ascension et creuse l’écart. Il lui reste vingt-cinq minutes de souffrance. Une terrible sensation, plus de jus, l’esprit qui s’embrume comme la vision, et le sentiment que ça ne tiendra pas.

Mais bien sûr que si, ça tiendra. Une force magnétique attire le champion français à toute allure vers l’arrivée. Pas craintif, il la suit, lui fait confiance. La connaît-il ? Evidemment, il avait fait les quatre cent coups avec elle en l’espace de douze mois. Elle lui doit un malaise en mondovision à Liège, un poignet signé des routes flamandes, des larmes de bonheur intense dans une Fosse-aux-Loups en transe et, entre autres, une troisième levée en haut de sa deuxième demeure, le Mur de Huy. Cette force, c’est la tunique arc-en-ciel. Elle lui en a fait voir de toutes les couleurs celle-là. Il a tant donné pour elle, n’était pas vraiment convaincu qu’elle lui a rendu autant. Souvent, Alaphilippe aura parlé d’un poids sur les épaules. Il ne se sentait plus lui-même, avait perdu de son naturel. Si bien qu’il était presque soulagé de la quitter.

Julian et sa préparation millimétrée

Mais cette relation en avait encore sous le capot, comme Julian Alaphilippe en cette fin de saison. Là tiennent les derniers points du raisonnement : forme et calme. A l’image de sa préparation de l’échéance mondiale l’an passé, Alaph a pu parfois décevoir. Mais, à la fin, resteront autour des deux lignes arc-en-ciel de son palmarès des préparations parfaites, des montées en puissance millimétrées. Pas de surcharge de calendrier, une forme croissante au fil du mois de septembre, et un dernier dimanche en lévitation. C’est l’occasion de féliciter un des alchimistes de la réussite, le cousin Franck Alaphilippe. En face de cela, on apposera le sceau du calme aux deux titres consécutifs décrochés par Alaph et l’équipe de France. Comme à Imola, le puncheur a traversé cette folle journée avec une sérénité et une impression de gestion incroyables.

Cela avait déjà tranché en Italie, une bonne humeur ambiante durant la semaine précédant la course, et pendant. Un Alaphilippe sourire aux lèvres, parlant régulièrement avec les siens. Thomas Voeckler, encore, y est pour quelque chose. Face à l’équipe Belge, cet aspect aura également fait la différence. L’ancien coureur Europcar aura su, en bon maitre d’école, apprendre la leçon à ses élèves et leur faire exécuter sans pression, par la force de la communication, de la répétition, de la participation commune. Plus que jamais, c’est la victoire d’une équipe.

Faites de beaux rêves

Julian Alaphilippe aura réalisé qu’il la tenait sensiblement au même endroit que l’an passé, non loin de la flamme rouge. Il s’était avant cela métamorphosé. L’acide lactique, encore lui, son plus fidèle compagnon, avait pris place un peu partout dans sa carcasse, des orteils au casque. Alaph pédalait avec la tête, les bras, le cerveau, un peu tout. Ses cheveux, d’ailleurs, s’engouffraient dans l’interstice de son couvre-chef pour une référence fortuite à Tadej Pogacar, un des héros de la nouvelle génération qui efface peu à peu les trentenaires ou futurs trentenaires. Mais Alaphilippe résiste, continue de briller, de collectionner les maillots de légende.

Le bonheur est intense après qu’il a franchi la ligne. Ses coéquipiers viennent le féliciter les uns après les autres. A l’embrassade avec sa compagne Marion Rousse succède la chaude accolade avec le sélectionneur Voeckler. Les premières réponses fusent un peu rapidement. On soupçonne assez rapidement Alaphilippe de ne pas avoir encore réalisé. Nous n’avions sans doute pas tort. Comme à Imola, les larmes montèrent une fois le podium rallié. Tout se concrétisait alors. Le père, Jo, veillait encore aujourd’hui sur son ainé, et saluait d’un coup d’arc-en-ciel le nouvel arrivé, Nino. Lui racontera-t-on, au petit, l’histoire de Wout Van Aert, qui deux fois de suite perdit pied face aux assauts de son paternel ? Une chose est sûre, avec un papa comme ça, on ne peut faire que de beaux rêves.     

Mathéo RONDEAU

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