Charlotte Lembach – Si les JO 2024 n’était pas à Paris, je prenais ma retraite

Charlotte Lembach a été sacrée vice-championne olympique du sabre par équipe, avec Manon Brunet, Cécilia Berder et Sara Balzer. Entretien !
Charlotte Lembach - Un rêve de médaille individuelle à Paris 2024
Charlotte Lembach – Un rêve de médaille individuelle à Paris 2024

Charlotte Lembach a été sacrée vice-championne olympique du sabre par équipe, avec Manon Brunet, Cécilia Berder et Sara Balzer. Alors que Tokyo 2020 devait être la dernière compétition de sa carrière, elle a décidé de rempiler pour tenter de décrocher une médaille individuelle à Paris 2024. Mais entre-temps, l’escrimeuse alsacienne a décidé de se consacrer à ses projets pros et personnels. Avec l’objectif d’avoir un enfant en 2022 et de terminer son école de commerce à l’EHDEC. Elle nous raconte son aventure olympique, sa médaille et ses retombées et comment elle a réussi à en arriver là avec ses coéquipières. Son désir de penser à soi après cette immense joie sportive. Elle évoque aussi le manque de médiatisation de l’escrime, mais aussi son après-carrière. Rencontre avec Charlotte Lembach.

Crédit : KMSP / CNOSF / Caroline Angelini

CHARLOTTE LEMBACH – L’ÉCHEC À RIO NOUS A PERMIS DE NE PAS REPRODUIRE LES MÊMES ERREURS

A Rio, on était déjà bien parti pour une médaille et cette olympiade a été vécue comme un très gros échec. Entre Rio et Tokyo, il y a eu pas mal d’années qui se sont écoulées. Durant cette période, nous avons obtenu une médaille quasiment à chaque grand championnat, que ce soit les championnats d’Europe, du monde. On savait qu’on était capable de gagner et de faire une médaille aux J.O. Les Jeux sont un événement à part et qui fallait se préparer au maximum.

Le fait d’avoir eu cet échec à Rio, cela m’a permis de vraiment comprendre, pourquoi cela n’avait pas fonctionné et les erreurs à ne pas reproduire. On a toutes pris des préparateurs mentaux, pour se préparer à un événement de cette envergure. Les Jeux sont un événement sur un jour et seulement tous les quatre ans. On connaissait le potentiel de cette équipe et qu’on était potentiellement médaillables. Mais aller chercher cette médaille c’était encore autre chose.

LA PREMIÈRE MÉDAILLE LANCE TOUJOURS LA DYNAMIQUE

On s’est très bien préparées, avec de très bons entraîneurs. Ils nous ont amené à cette belle médaille d’argent ! Ce n’est pas une immense surprise, mais elle est très belle. Savoir qu’on est capable de le faire c’est une chose, mais le concrétiser c’est encore autre chose. Attention, cette médaille reste un exploit. On a beaucoup travaillé avec nos préparateurs mentaux, notamment pour composer cette équipe. Une fille comme Sarah est arrivée sur la fin de la qualification et on n’avait jamais fait d’équipe ensemble avant l’annonce de la sélection. Il a fallu créer un groupe et une équipe en quatre mois. C’était indispensable que tout se passe bien avec les nouveaux. On avait vraiment envie d’aller chercher cette médaille. On a essayé de mettre toutes les chances de notre côté.

Bien évidemment que de voir les Français briller nous a énormément motivé, au moment d’entrer en scène. Voir Romain Cannone avec sa belle médaille d’or, on se dit que le compteur est débloqué. J’ai vécu des championnats du monde avec plein de médailles et on sait que la première lance toujours la dynamique. Manon a obtenu une très belle médaille de bronze. Elle a été importante et nous avions envisagé ce scénario. Nous étions préparées mentalement en cas de médaille individuelle d’une des filles de l’équipe et pas des autres. Il fallait envisager les cinq jours de récupération entre l’épreuve individuelle et celle par équipe.

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CHARLOTTE LEMBACH – AVOIR LES PARTENAIRES AVEC NOUS, NOUS A FAIT ÉNORMÉMENT DE BIEN

Et c’est quelque chose que nous n’avions pas fait à Rio. Cela nous a mis dans une dynamique positive. Même si, individuellement, je suis forcément déçue de ne pas avoir de médaille. Et Manon a été préparée, étant médaillée, pour se dire que les Jeux n’étaient pas finis et qu’il y avait encore une médaille à aller chercher. Voir toutes ces médailles nous a fait du bien. Les filles ont fait de grosses performances, avec Manon, l’équipe de Fleuret dames qui nous a fait vivre de belles émotions.

Je n’ai pas vécu les Jeux de Londres, qui ont été compliqués pour les Bleus, car j’étais blessée. Je ne sais pas trop comment s’est passée la préparation. Cette année, j’ai vraiment le sentiment qu’on a créé une équipe de France. On est parti en stage 10 jours avant la compétition et on a amené les partenaires. Nous n’étions pas seuls. Ces partenaires nous ont fait du bien, ont mis l’ambiance. Ils ont participé à la création d’une cohésion. On oublie cette pression des Jeux. Cela nous a rassemblé entre les athlètes, entre les armes et les sexes. Mais aussi avec le staff. On a été une vraie équipe de France qui s’est soutenue du début à la fin.

JE SUIS ENCORE UN PEU SUR MON PETIT NUAGE

Au quotidien, nous n’avons pas les mêmes horaires d’entraînement, on ne s’entraîne pas dans la même salle. Là, on était mélangés et on pouvait passer du temps ensemble. Quand les partenaires nous ont quittés à la fin du stage, pour basculer vers les Jeux, nous étions bien et on avait l’état d’esprit d’équipe. Nous étions prêts à l’attaque. Durant les assauts, nos adversaires nous ont mené la vie dure, on en a ch*é. Et c’est grâce aux partenaires qu’on a été chercher la médaille.

Je pense qu’on reste toujours un peu sur notre nuage, mais bien sûr que je suis retombée sur terre. On va dire que l’euphorie est restée un mois. Il y a eu énormément de sollicitations après les Jeux et on n’est pas forcément préparé à tout cela. Mais quand je suis rentrée en famille, j’ai fêté la médaille. Maintenant, je dois vivre ma vie et profiter de ces moments de bonheur. Je ne suis pas dans une année où je vais faire de la compétition, je n’ai pas besoin de transférer mon cerveau sur la prochaine échéance.

Et je ne me sentais pas du tout capable de retourner à l’entraînement un ou deux mois après. Il faut que je pense à moi et à des projets plus pros et perso. J’ai vraiment envie de faire partager au maximum cette médaille. Cela reste quelque chose d’unique et il faut savoir prendre le temps de faire la transition entre cette médaille et les projets futurs.

CHARLOTTE LEMBACH – CETTE MÉDAILLE EST LA PLUS IMPORTANTE

Cette médaille est la dernière qui manquait à mon palmarès et c’est la plus importante. Depuis que je suis toute petite, les JO sont un rêve et un objectif. Cela reste une médaille d’argent, c’est beau. Les prochains Jeux sont à Paris et j’aimerais glaner l’or. J’ai vu des collègues l’avoir et cela me titille énormément. Il manquait la médaille olympique à mon palmarès, mais j’aimerais en avoir une autre (rires). Cette médaille à tout changé, je le vois dans les sollicitations médias presse. On n’a jamais autant parlé d’escrime que lors des J.O. On n’est pas forcément préparé à cela, à passer autant de temps entre les plateaux télés, la presse et la radio. Également, sous sommes invités sur des événements.

Je sors d’un raid en faveur de la recherche contre le cancer du sein. Des causes qui me tiennent à cœur. J’en profite car cela me permet de faire de belles rencontres, partager mon expérience et en prendre en retour. Ces moments me permettent d’avancer encore plus, de me projeter sur d’autres projets. Cela permet de se poser les bonnes questions. Quand on discute avec une femme qui a eu un cancer du sein et qui fait raid. Quand je vois que je finis sur les genoux, elle, elle est en chimiothérapie. C’est une leçon de vie. On dit toujours que le sport c’est l’école de la vie. Partager avec d’autres personnes, c’est aussi prendre des claques dans la tronche. On se rend compte que rien n’est acquis et qu’il faut toujours se battre quoi qu’il se passe.

IL FAUT QUE LES CHAÎNES AIENT ENVIE DE NOUS DIFFUSER

L’escrime n’est pas un sport si médiatisé et même nous on a parfois du mal à le comprendre. C’est un sport assez compliqué à comprendre, mais il faudrait que les chaînes de télé aient envie de nous diffuser. C’est un gros problème car si la compétition n’est pas en France, les chaînes ne diffusent pas. Le souci, c’est que les compétitions durent assez longtemps, on a un schéma de saison qui est totalement différent de ce qu’on voit pour les Jeux. En coupe du monde, il y a une phase de qualification. Il faudrait trouver un schéma de compétition bien carré, comme on peut le voir aux JO. Pour connaître le programme.

Je pense qu’il manque également un peu de communication. Quand on voit qu’on est le deuxième sport avec le plus d’audience des JO, avec plus de 10 millions de personnes qui nous ont suivi, c’est un peu difficile de comprendre pourquoi on n’est pas plus diffusé. Il faut que la Fédération fasse le nécessaire pour communiquer dessus. Pour vendre ce qu’il y a à vendre. Car il y a de belles valeurs et de belles médailles. On lance un vrai appel aux chaînes de télévision.

CHARLOTTE LEMBACH – SI LES JEUX AVAIENT EU LIEUX AILLEURS QU’À PARIS, J’AURAIS PRIS MA RETRAITE

Oui les règles ne sont pas simples à comprendre et même entre nous, nous ne sommes pas d’accord. On est jugé par des arbitres, sur des situations qui se jouent à des millimètres, sur des détails que, même nous avec un œil aguerri, nous ne voyons pas forcément. Les gens voient ma lumière s’allumer et pensent que le point est pour moi et finalement, c’est point pour mon adversaire. Parce qu’il y a des règles et des priorités à prendre en considération. Je pense qu’il faudrait mettre davantage d’innovations comme ils ont essayé de le faire pendant les Jeux, en colorant la lame avec la lumière avec laquelle elle s’allume. Pour que la caméra puisse voir la trajectoire de la lame et voir exactement où cela touche. Il faut faciliter la compréhension de notre sport. Pour que ce soit plus médiatisé.

Si les Jeux avaient eu lieu ailleurs qu’à Paris, je ne serais pas revenue sur ma décision de repousser ma retraite. Si cela avait été à Los Angeles, je serais en retraite pure (rires). Je veux vivre des JO à la maison, c’est exceptionnel ! Les Français sont demandeurs et le Covid a fait que le sport a vraiment rassemblé. C’est ce qui m’a donné envie de prolonger ma carrière, même si je vais faire une pause. Quand on voit toute cette effervescence autour du sport français et pour n’importe quel athlète, après les JO, quand on voit toute la médiatisation, on se dit qu’une petite fête à la maison, devant un public français exceptionnel, cela donne des idées pour la suite.

JE VEUX UNE MÉDAILLE OLYMPIQUE INDIVIDUELLE

Si je prolonge ma carrière, c’est pour obtenir une médaille individuelle. J’adore les équipes mais une médaille individuelle reste une consécration et aboutissement personnel. En équipe c’est un partage d’émotions. Mais je veux aller chercher la médaille individuelle. J’ai d’abord ce projet maternité. Mais si Paris 2024 se fait, ce sera pour une médaille. C’est une mise en valeur de soi et pas de l’équipe. On ne me dira pas : « Tu es vice-championne olympique en équipe avec telle ou telle personne ». Ce sera : « Tu es médaillée individuelle, point barre ». On fait quand même un sport individuel, l’équipe est un plus. Mais le principal reste la médaille individuelle.

Pour cela, je dois encore progresser mentalement. Cela fait deux ans que j’ai un préparateur mental et j’ai senti énormément de différence. J’ai encore énormément de choses où je peux progresser. La gestion des émotions. Avoir l’expérience de cette médaille olympique fait que je vais grandir avec. Une médaille va se jouer à de petits détails et il faut penser à tout. Notre sport, c’est 80% du mental. Si vous êtes très fort, le physique va suivre et saura s’adapter.

CHARLOTTE LEMBACH – MA PRIORITÉ EST LA MATERNITE

Vouloir un enfant durant sa carrière ne doit pas être un frein et je rêve d’un destin à la Laura Glauser et Mélina Robert-Michon. Ce sont des exemples pour toutes les femmes qui ont repoussé leur date de maternité. Elles ont montré que c’était possible et qu’on pouvait revenir à un niveau meilleur qu’avant. Pour ma part, je sais que le timing sera un peu court, avec le report de Tokyo. Ma priorité reste mon projet de maternité. Paris 2024 est en second. Je sais que c’est possible et que le timing est serré. Je vais faire en sorte que cela se passe bien et on verra la suite.

Les mentalités ont évolué là-dessus. Il y a dix ans, quand tu voulais faire un enfant, on te disait que ta carrière était finie. Mais cela a changé parce qu’on a eu des femmes qui ont « pris le risque » et qui ont eu envie de maternité, pour ensuite revenir en tant que sportive de très haut-niveau. Il a fallu qu’on passe par des exemples de femmes comme Estelle Mossely, Mélina Robert-Michon, Sarah Ourahmoune ou encore Laura Glauser.

IL Y A UN PROGRES SUR LA CONSIDERATION DE LA FEMME DANS LE SPORT

Je pense aussi à Valériane Ayani enceinte pendant les Jeux. Ces femmes ont montré que c’était possible et sans ces exemples là, il y aurait encore plein de femmes qui repousserait leur maternité. C’est dans la bonne voie, même s’il y a encore plein de choses à prendre en considération. Au handball, le congé maternité a été pris en considération, ce qui est déjà une évolution majeure. Maintenant, il faudrait que dans des sports amateurs, ce soit mieux pris en compte.

Il y a aussi un progrès sur la considération de la femme dans le sport. Les cycles menstruels sont pris en compte, les gens ont pris conscience que c’était important dans une carrière de sportif. On pouvait se blesser à des dates précises dans un cycle. On adapte mais le discours est plus facile pour les entraîneurs, car ils comprennent les règles. Ils adaptent leurs entraînements. La femme dans le sport prend de plus en plus de valeur. Il faut prendre en considération tous les aspects possibles pour un sportif, pour qu’il/elle s’entraîne de la manière la plus performante. Chaque personne est différente et possède des capacités différentes. Il y a de plus en plus d’individualisation de l’entraînement et on se professionnalise de plus en plus, malgré le fait qu’on soit un sport amateur.

CHARLOTTE LEMBACH – J’AIMERAIS BIEN TRAVAILLER DANS LE MARKETING SPORTIF APRÈS MA CARRIÈRE

Je fais également des études de commerce, en parallèle de l’escrime. En année olympique, comme en 2021, j’ai forcément été un peu plus relax sur les études, pour me concentrer sur le sport. J’ai décidé cette année de privilégier ma vie personnelle et professionnelle, pour enfin finir mon école. Sinon, j’adapte mon travail en fonction des semaines et des entraînements. Je me fixe un programme d’heures de cours, où je vais travailler. C’est une question d’organisation et de planification. Si les compétitions approchent, je vais forcément me relâcher. Si les périodes sont plus creuses, je vais charbonner pour avancer au maximum. Mais j’aborde 2022 comme une année de transition. Une année pour moi, car j’en ai vraiment besoin. Je ne me voyais vraiment pas retourner de suite à l’entraînement.

Le fait de la faire en e-learning est un avantage. J’avançais à mon rythme. C’est assez dur, car j’aime le relationnel et l’interaction. Là, j’ouvre mon ordinateur pour avancer mes cours. Mais cela procure de gros avantages. L’EDHEC a mis en place ce cursus, sans contrainte d’horaires, sauf lors des sessions de partiels. Mais à ce moment-là, nos entraîneurs nous lâchent. On a nos entraînements et après on s’adapte en fonction. Après ma carrière, j’aimerais travailler dans le marketing sportif et dans l’événementiel. Je veux rester dans le monde du sport, car c’est un milieu qui me passionne. Je veux également découvrir d’autres facettes du sport, que celle d’être athlète.

CHARLOTTE LEMBACH

Avec Etienne GOURSAUD

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