Pierre-Jean Vazel est l’entraîneur salarié au sein du club de l’Athlétisme Metz Métropole et du lanceur médaillé mondial Quentin Bigot. Il a entraîné des athlètes africains en Europe, dont le sprinter Olusoji Fasuba, toujours recordman d’Afrique du 100m en 9,85s. Il s’est également occupé de la Française Christine Arron et au sein de la Fédération Chinoise d’Athlétisme. Un parcours de vie et d’entraîneur atypique et riche de rencontres, qu’il raconte.
Credit photo : Quentin Bigot Facebook
JE DEPLORE QU’UN ENTRAINEUR NE SOIT JUGE QUE PAR SES RESULTATS
Un bon entraîneur c’est quelqu’un qui respecte ses athlètes, mais aussi les autres entraîneurs et athlètes. Le contact humain est très important. L’entraîneur peut progresser toute sa vie, contrairement aux athlètes. Nous sommes moins limités par notre corps et la vieillesse/sagesse est un atout. Bien entendu, un entraîneur doit avoir des résultats, mais je déplore qu’on ne soit jugé que sur cet aspect.
Les athlètes sont jugés par les résultats. Mais un entraîneur peut faire faire de belles performances à un athlète, en dépit de méthodes d’entraînements qui peuvent être dangereuses. En ne respectant l’intégrité physique, psychologique de la personne. Mais des records sont faits, des médailles sont remportées via ce type de méthodes. Mais cela ne dure qu’un temps, l’athlète est vite usé. Il ne reste que le résultat. Une performance où une contre-performance c’est multifactoriel. Les méthodes toxiques rejaillissent toujours uniquement sur l’athlète. J’y inclus le dopage, mais aussi le harcèlement sous toutes ses formes qu’il soit moral et sexuel.
CERTAINES CHOSES NE S’APPRENNENT PAS A L’ECOLE
Il n’y a pas de formation qui apprend vraiment à devenir entraîneur. Récemment, j’ai vu sur Twitter une séquence. Elle montrait Karsten Warholm dans un restaurant, en train de passer des haies. Ils ne pouvaient ou ne voulaient pas aller au stade avant le meeting et ont composé autrement. Cela ne s’apprend pas à l’école et pourtant ce sont des détails qui font la différence entre la réussite et l’échec. Il faut savoir composer avec le réel, être créatif en toute circonstance. Ce sont des choses qui s’apprennent sur le tas.
J’ai eu la chance d’être immergé très tôt. J’ai entraîné longtemps des Nigérians, donc je connais bien le système D. Cela m’a permis d’être plus adaptatif. Limite je ressentais une routine quand tout se passait normalement, car ma vie était faîte de changements perpétuels. Par exemple, nous n’avions pas de starting-blocks, pour travailler les départs. On faisait sans, avec d’autres exercice pour pallier le manque.
ON AVAIT PARFOIS PORTE CLOSE AU STADE
Les gardiens du stade ne savaient pas ce qu’on faisait là ! Mais on arrivait toujours à s’en sortir. Nous n’étions pas dépendant des barres de musculation. Le système D était aussi là lors de nos voyages pour les compétitions. Je dormais souvent par terre car nous n’avions pas les moyens de payer plusieurs chambres. On avait nos combines. Quand l’un de mes athlètes (NDLR : Olusoji Fasuba recordman d’Afrique du 100m en 9,85s) est devenu connu, j’ai pu entrer partout.
Mais auparavant, il fallait faire le travail. Mais on savait qu’on y arriverait, mais j’en avais parfois mal au ventre, surtout quand il fallait trouver de quoi se loger au moment des grands championnats. Mais on s’en est toujours sorti et cela nous a donné une grande confiance en nous. C’était pourtant le pot de fer contre le pot de terre, face à des teams avec beaucoup de moyens. Le moindre imprévu était vu comme un défi. Cela rendait les performances encore plus belles et donnait de la saveur à la réussite.
Finalement il n’y a pas eu trop d’échecs, hormis lors des JO de Pékin en 2008. Parfois, on frisait l’inconscience. Mais en y réfléchissant on était préparé à tout, surtout pour éviter tous les pièges. On était plus pros que bon nombre d’athlètes qu’on croisait en meeting. Je connaissais parfaitement les réactions physiques et psychologiques de tous mes athlètes. A Osaka, en 2007, nous ne sommes venus sur place que quatre jours avant, pour n’avoir qu’après la compétition, le contrecoup du décalage horaire. On poussait le détail assez loin en ayant de l’imagination.
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J’AI DU FAIRE MES PREUVES AUPRES DE QUENTIN
Les Anglais disent qu’on entraîne l’athlète et non sa discipline. Il faut s’adapter à l’exigence de la discipline qui est aussi importante que l’exigence de l’athlète, dans le sens génétique. On peut modifier des choses à l’entraînement. Après je suis devenu entraineur de sprint un peu par hasard, même si j’étais déjà calé d’un point de vue scientifique. J’ai dû apprendre et beaucoup travailler, me renseigner et observer les athlètes. Ce que j’ai fait pour le sprint, je l’ai fait pour le marteau quand je me suis occupé de Quentin Bigot.
J’étais installé et reconnu en tant qu’entraîneur de sprint, mais pas en lancers. Je suis reparti de zéro. J’avais là-aussi des connaissances théoriques mais sans jamais avoir entraîné au marteau. J’ai dû faire mes preuves auprès de Quentin, qui était déjà un athlète accompli et qui était pointu. Il est venu me voir pour ma compétence en tant qu’entraîneur qui a suivi des athlètes médaillés sur le plan international. Car tous les coachs n’ont pas pu remporter des médailles aux JO/Mondiaux. Il voulait être plus pro dans l’approche de la compétition.
ON AVAIT FAIM DE MEDAILLES INTERNATIONALES
Il avait déjà participé aux grandes compétitions, mais sans réellement y apprendre. On a travaillé sur une chose essentielle : Être en forme au bon moment. C’est un fan de techniques et moi j’avais des connaissances et une bonne base de données. J’ai également favorisé les contacts. J’aime quand les athlètes rencontrent d’autres personnes impliquées dans la performance, pour enrichir leur expérience. Quand on rencontre des légendes de sa discipline, cela permet d’incarner l’exploit. Mais se rend compte que ce sont des gens comme nous. Il faut donc les rendre accessibles.
Finalement, à Doha, il était seulement 9 ou 10e au bilan mondial. Mais on savait que certains ne seraient pas au rendez-vous le jour J. Les meetings ne nous ont jamais beaucoup intéressés, contrairement à d’autres personnes. Nous, on avait faim de médailles internationales et on a travaillé pour être fort. Et être fort quand on est poussé dans nos retranchements. Ce que ne savent pas faire certains athlètes, qui vont se tendre.
ÊTRE ENTRAINEUR, C’EST TOUTE MON EXISTENCE
Nous en sommes à notre sixième saison ensemble. D’un point de vue personnel, j’ai vraiment l’impression d’avoir vécu plusieurs vies. Parfois, je ne me dis que ce n’est pas moi ! Ce sont comme des chapitres dans un livre, mais qui n’ont pas forcément de cohérence. Je m’en fiche. Personne ne croyait en Quentin. J’ai le souvenir d’un entraîneur qui m’a dit que je ne savais pas dans quoi je m’embarquais et que je n’avais pas les compétences. Que les lanceurs se moqueraient de moi. La médaille nous a légitimé pour les autres, mais pas pour nous.
Même Berlin, où Quentin est blessé, n’a pas remis en cause notre collaboration. On ne faisait pas fausse route, mais on devait améliorer des choses. On l’a pris comme une opportunité de s’améliorer. C’est important de partager avec un athlète et s’en servir pour améliorer nos méthodes. Nous ne sommes pas dans une relation verticale. Certains athlètes peuvent apprécier la relation verticale, mais je trouvais des subterfuges pour les rendre acteur de leur performance. J’aime travailler avec Quentin car on apprend tout du long. Dans dix ans j’aurai sans doute de nouveaux acquis. Des compétences qui peuvent resservir. Et j’ai tellement de choses à apprendre. C’est une chance incroyable d’avoir pu rencontrer tous ces athlètes qui m’ont apporté sur le plan personnel. Être entraîneur, c’est toute mon existence.
LA METHODE STAKHANOVISTE EST REMISE EN CAUSE EN CHINE
La Chine a une vision différente du sport. L’entraîneur y est un personnage très voire trop respecté. Ce n’est pas facile d’avoir une relation de confiance avec l’athlète. On donne des ordres qu’ils exécutent sans trop se poser la question du pourquoi du comment. Il faut tomber sur des athlètes très doués. Après, actuellement, de moins en moins de personnes veulent faire du sport.
Mais ils commencent à changer de méthode. Le coté stakhanoviste commence à disparaître. Auparavant c’était un peu marche ou crève et tanpis pour les pertes. Désormais ils prennent soin de leur élite. Ils font de plus en plus appel à des entraîneur occidentaux et ils individualisent de plus en plus les entraînements. Il le fallait car en Chine, il n’y a pas trop de relève actuellement.
JE CHERCHE A COMPRENDRE COMMENT LE TOUR DE MAGIE A ETE EFFECTUE
On regarde souvent le chrono final dans une course. Mais ce chrono ne raconte pas l’histoire de la course. Savoir les temps de passage, la fréquence ou encore la longueur de la foulée est un vrai plus. C’est quelque chose qui m’a intéressé avant même d’entraîner. J’ai étudié le saut, les lancers, pour comprendre le mouvement et comment on arrive à la performance. Le record a quelque chose de magique. Je cherche à comprendre comment le tour de magie a été effectué.
Bien entendu, il y a parfois le facteur dopage. Mais je voulais aller au-delà de ces évidences en regardant le côté psychologique et biomécanique. Sur ces points-là, ce fut relativement facile quand j’ai été propulsé dans le monde de l’entraînement. Ce sont des choses encore sous exploitées en France. En Allemagne ce sont des choses évidentes et aux USA cela le devient. J’espère que cela va changer en France.
Quand j’étais plus jeune, il y avait un forum sur le site de l’IAAF. Aujourd’hui il n’existe plus. Mais des passionnés comme moi disséquaient des courses et concours. On commentait les courses. Finalement je ne fait que continuer ce que je faisais déjà plus jeune. En Allemagne il y a quelques « cinglés » qui le font depuis les années 50 (rires). Après il y a une vraie demande, un vrai public pour ces données. World Athletics l’a bien compris et met le temps de passage des courses depuis 2013, avec décomposition 100m par 100m. Cela commence à se faire en Diamond League. On est parti pour avoir prochainement, une analyse 10m par 10m sur un 100m. C’est une course tellement brève dont un graphique peut donner une autre vision.
POUR FAIRE UNE ANALYSE D’UN LANCER, IL FAUT DE LA 3D
Pour faire pareil aux lancers, il faudrait de la 3D, et donc deux caméras. On pourrait avoir le temps du double et du simple appui, les vitesses à chaque tour. C’est quelque chose qui se fait une fois par an et encore. On peut le faire à l’entraînement, mais c’est moins facile. A Doha ils ont commencé à mettre les données en temps réel, avec l’angle et vitesse. Mais les données étaient farfelues. Dans ces cas-là, mieux vaut ne rien afficher.
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NOUS ÉCHAPPONS AU CHAMP SCIENTIFIQUE
Est-ce qu’on doit accentuer les points forts ou limiter les points faibles ? De mon point de vue, un peu des deux. On peut avoir des améliorations sur la force et la vitesse pour les sauts verticaux. A haut niveau sur la technique c’est moins évident. Si on ne propose que des choses désagréables à un sportif, il va vous dire « Tchao ». Cela peut aussi amener des perturbations. On le voit au marteau, dans l’idéal il faudrait faire tel geste. Mais dans la réalité, en voulant tendre vers cela, l’athlète peut aborder la compétition avec de mauvaises intentions.
Les protocoles scientifiques se font sur 4 à 6 semaines, alors qu’un cycle d’entraînement va de 1 à 4 ans. Ce sont deux choses totalement différentes. Il faut aussi intégrer la partie psychologique. Nous échappons au champ scientifique. Car il faudrait que l’expérience soit reproduite à l’identique, ce qui est impossible en compétition. Chacune d’entre elles est différente. Mais on sédimente notre propre connaissance, qui n’utilise pas les modèles expérimentaux de la science telle qu’elle est publiée.
ON NE PEUT PAS PROUVER TOUS NOS CHOIX
Ce sont deux mondes qui se touchent mais qui n’arrive pas à s’imbriquer. Mais c’est bien qu’il y ait cette différence. On essaie parfois trop de rapprocher les deux mondes. Ce n’est sans doute pas souhaitable. Les deux peuvent s’apporter des choses, mais il y a des limites irréconciliables. On doit faire avec ces différences. On a contre nous qu’on est vu comme des personnes qui prennent des décisions irrationnelles. On ne peut pas prouver tous nos choix, contrairement aux scientifiques. Mais cela fonctionne depuis des décennies.
Exemple pour le massage. Les scientifiques disent que cela n’est pas efficace, mais les athlètes en sont demandeurs. Après certains symptômes comme les courbatures sont souhaitable. Ils indiquent que le corps s’adapte à l’entraînement. J’ai vu qu’à une époque, certains sportifs tournaient à plus de 200 massages par an. Ils essayaient de faire encore plus, pour pouvoir s’entraîner davantage. Mais ce n’était pas bien.
J’AI EU LE SENTIMENT D’UNE SURENCHERE MEDIATIQUE
Je ne sais pas trop quoi dire sur l’athlétisme français. Avant Doha, j’ai vu certains commençaient à se plaindre de la chaleur. Je ne m’intéresse pas à la géopolitique. C’était sur qu’il allait faire chaud. Mais à un moment, les journalistes se sont mis à parler que de cela, avec une vraie surenchère. Avec le manque de résultats, il y a eu une vraie escalade pour trouver des problèmes. Le lieu, la température, l’ambiance au sein de l’équipe de France. J’ai vraiment trouvé cela injuste. L’ambiance n’était pas différente des autres années.
C’est normal que certains cadres ne s’entendent pas, c’est même plutôt sain. Ils sont là avec un objectif commun de ramener le plus de médailles possibles. En réalité à Doha, il n’y a pas eu de réelle contre-performance. On a eu des résultats qui sont dans la lignée. On sortait d’année fastes certes. J’ai eu ce sentiment d’un vraiment emballement médiatique. Cela me rappelle 2013, quand tout le monde se plaignait de la Russie.
LES ENTRAINEURS SONT DE MIEUX EN MIEUX CONSIDERES EN EQUIPE DE FRANCE
On est dans une période d’élections au sein de la FFA. Il n’y a pas mal d’enjeux mais ce sont des choses qui nous dépasse. Je vois de mon côté que les entraîneurs sont de mieux en mieux considérés en équipe de France. Gianni Yalouz a mis en place le t-shirt équipe de France pour les coachs, ainsi qu’un sac. On se sent vraiment équipe de France. C’est quelque chose que j’ai tenu à souligner en réunion, car cela n’existait pas avant.
Il faut les voir ces changements. Il faut aussi se souvenir qu’avant, on n’avait même pas le droit de venir en grand championnat. Il fallait faire le pied de grue devant le stade pour acheter des billets. On s’est rendu compte qu’on n’avait même pas d’accréditation en 2009 lors des mondiaux de Berlin, même si la situation a été réglée sur place. Ce qui a été fait permet d’aider nos athlètes à faire des performances.
CHAQUE ATHLETE A SON PROPRE MEDIA
Depuis les années 30, la fréquentation dans les stades ne fait que baisser. Il y a aussi un lent déclin du public qui ne s’observe pas qu’en France. Les différents scandales, comme celui Lamine Diack (NDLR : l’ancien président de l’IAAF tout juste condamné pour corruption), ont accéléré cette baisse. La baisse du sponsoring, c’est eux ! C’est dommage. Car on fait davantage de résultats par rapport aux années 90. Mais on a dix fois moins de place. A Berlin en 2009, seuls trois journalistes de l’Equipe couvraient l’évènement contre près de 10 en 1993 à Stuggart.
A une époque, Yohann Diniz n’aurait pas partagé la Une avec Neymar. Ils vont répondre que s’ils ne mettent pas de foot dans le journal, ils n’existeront plus. Je comprends. Mais quand je vois aucune mention du record du monde de Cheptegei sur le 5000m sur leur une, c’est significatif. Eux défendent leur journal. Nous on défend notre sport. Après les journalistes athlé aiment leur sport et aimeraient en parler davantage dans le journal.
C’est l’œuf ou la poule. Je m’estime dans mon rôle quand je rappelle certains trucs aux journalistes. Il faut défendre notre sport. Cela peut passer par les médias spécialisés. Les athlètes passent aussi par leurs propres canaux pour faire des annonces. On n’est plus à l’époque de Marie-José Perec qui appelait directement le bureau de l’équipe pour s’exprimer. Les choses ont changé. Chaque athlète à son média et presque plus important que les médailles. Les fameux followers. C’est tout bénéfique pour les marques. Les athlètes font tout le travail. Il faut faire avec, car les sportifs doivent manger aussi.
PIERRE-JEAN
Avec ÉTIENNE GOURSAUD