Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
Sébastien Chavanel n’est pas que le frère de Sylvain, il fût aussi un coureur émérite passé par la FDJ et Europcar notamment. Aujourd’hui retraité, il nous raconte son évolution de sprinteur à poisson pilote pour les plus grands noms du cyclisme français actuel. Un travailleur de l’ombre indispensable pour la réussite d’une équipe cycliste.
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J’ai débuté le cyclisme à l’âge de 13 ans. J’ai commencé tout simplement, mon père était coureur cycliste amateur et en allant sur les compétitions en famille je me suis mis au vélo. Au début c’était pour m’amuser puis c’est très vite devenu une vraie passion.
Avant de devenir professionnel, j’ai travaillé en tant que paysagiste puis ouvrier sur commande numérique dans l’usine Agritubel. À ce moment-là, en 2001, j’ai eu l’opportunité de faire les 2/8, donc d’avoir du temps pour ma pratique du vélo. J’ai pu mettre en place de vrais entraînements ce qui m’a permis d’obtenir de très bons résultats et de me faire remarquer par l’équipe amateur Vendée U que j’ai intégré en 2002. C’est là que j’ai commencé à croire en la possibilité de transformer une passion en profession. Chose faite l’année suivante en passant dans les rangs de la formation pro Brioches la Boulangère.
C’est vrai que le fait d’avoir mon frère, Sylvain, qui lui avait atteint le haut-niveau en amont, m’a donné envie de suivre ce chemin, même si j’ai toujours voulu être moi-même pour me construire avec mes satisfactions et mes déceptions.
Au départ c’était tout sauf facile, en tant que néo-professionnel, il y a toujours un temps d’adaptation quand on arrive dans un milieu nouveau, d’autant plus avec peu d’expériences collectives. Le bilan de cette difficulté a été un manque de réponses sportives positives par rapport aux attentes demandées. Le début de ma carrière a donc été très compliqué. Ma place n’a donc pas été sprinteur. Elle était d’ailleurs « coureur sans étiquettes », je n’avais pas forcément d’objectifs précis. C’était alors assez difficile de répondre à des attentes inconnues pour moi.
Mais je suis quelqu’un qui a toujours aimé l’adrénaline du sprint. Je me remets toujours en question ce qui me permet d’avancer dans la vie. Je suis passé d’équipier lambda à sprinter lorsque j’ai performé sur le Tour de l’Avenir 2003 et 2004 (5 victoires et le gain du maillot vert en 2004). C’est à ce moment que le milieu du cyclisme professionnel a pris conscience de mes capacités à être un sprinteur capable de gagner.
Je prenais beaucoup de plaisir à vouloir gagner des courses pour mon compte personnel. Puis j’ai rencontré des difficultés à gagner, c’était dû à une perte de confiance en moi et de mon entourage, et à ce moment je me retrouvais dans l’obligation de me poser les bonnes questions pour pouvoir espérer continuer dans le peloton professionnel.
POISSON PILOTE, UNE EVOLUTION NATURELLE ET POSITIVE
Je me suis rapidement orienté vers les jeunes pour leur transmettre mon expérience avec les hauts et bas de cette spécificité de sprinter. C’est à ce moment que je suis devenu poisson pilote.
Je retiens vraiment de ma carrière (et je pense que le grand public aussi) d’avoir su transformer mon rôle de sprinteur à celui de poisson pilote pour les plus grands talents français du moment. J’ai d’ailleurs beaucoup plus appris à leurs côtés que seul face à des attentes par forcément claires au départ. Je me sentais à l’aise dans ce domaine bien spécifique.
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Le rôle du poisson-pilote consiste en plusieurs choses : tout d’abord c’est le garant envers son sprinter pour le mettre dans la meilleure position possible à 200 mètres de la ligne. Ensuite le poisson pilote doit avoir une capacité d’analyse de toute l’approche du sprint dans les 10 dernières minutes. Il faut également une capacité d’écoute pour bien comprendre son sprinter et le groupe qui l’entoure. J’essayais de canaliser mon sprinteur et le rassurer notamment durant les périodes de doutes qui sont propres à ce type de coureur.
Dans un final de course souvent stressant, le poisson pilote doit être très détendu afin de prendre les bonnes décisions. Et cette condition passe par de la sérénité tout au long de la journée.
Il faut donc s’entraîner différemment pour ce rôle. Cela demande un travail de résistance plus que d’explosivité. Auparavant quand j’étais sprinteur je travaillais essentiellement sur l’explosivité sur 7 secondes, et très peu sur la résistance. Alors que pour être un poisson pilote résistant il faut travailler les efforts plus longs comme 20 secondes de sprint à son allure maximum. Il y avait donc beaucoup plus d’endurance à l’entraînement (semaine de 22h-26h de vélo)
Cela demande également une grande complicité et une grande confiance l’un envers l’autre, entre le sprinteur et le poisson pilote. Ça passe par de la communication objective, de l’écoute, et de l’envie pour avoir la grinta de travailler corps et âme pour atteindre le même objectif : la victoire.
Le danger est également partie prenante dans un sprint notamment au travers de deux facteurs, les frottements et les chutes. Il n’y a pas de bonnes ou mauvaises techniques dans le frottement. Le frottement est quelque chose d’inné. C’est des qualités que l’on a très jeunes.
Pour les chutes, quand nous sommes en confiance nous n’avons peur de rien. La chute nous n’y pensons même pas. En revanche pour ma part, j’ai connu une période très délicate. Je suis tombé une fois sous la pluie et j’ai été touché physiquement et mentalement. C’est l’environnement dans lequel j’évoluais à ce moment qui m’a fait perdre confiance en moi, donc naturellement je me retrouvais dans une situation délicate. Je n’arrivais plus à sprinter en toute sérénité. Il a fallu que je rencontre une sophrologue pour commencer à m’intéresser au développement personnel. Chose que je continue de travailler aujourd’hui.
LA TECHNIQUE OPTIMALE DU SPRINT
Un sprint se déroule avec une méthodologie différente suivant les différents sprinteurs.
Le processus le plus efficace pour moi et qui me correspondait le plus est le suivant :
- Journée économique sur le vélo, pas d’efforts superflus.
- Le sprint commence quand nous arrivons dans les 45 dernières minutes de courses. La tension commence à se sentir, les équipes ont toutes le même objectif donc ça frotte beaucoup.
- Un groupe autour de son sprinteur doit se former avec pour objectif de mettre dans les meilleures dispositions le poisson pilote et le sprinter. Le travail de toute l’équipe est indispensable dans un dispositif d’arrivée au sprint.
- L’utilité du poisson pilote se résume à une chose primordiale. Que le sprinter soit dans la meilleure position possible et avec une vitesse optimale pour lancer son sprint à 200 mètres de la ligne.
Parfois tous les éléments sont parfaitement exécutés. Un souvenir me vient rapidement à l’esprit lors du Giro 2014. Nous avions analysé avec précision le final compliqué d’une étape compliquée qui comportait une ascension avant le sprint. Je suis tellement déterminé que je passe cette difficulté sans soucis et je réalise un final d’exception pour mon sprinteur Bouhanni qui gagne l’étape. C’est le moment où je réalise que le mental a un vrai impact sur le physique et me prouve que nous sommes capables de réaliser des exploits qui consciemment nous semble impossible.
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J’ai été le poisson-pilote de trois sprinteurs dans ma carrière, Nacer Bouhanni, Arnaud Démare et Bryan Coquard. La différence entre les trois sprinters est vraiment marquée.
Le gabarit est différent entre les trois donc leurs caractéristiques également. Je les décrirais comme tels :
- Bryan Coquard : Petit et très explosif dans les tout derniers mètres.
- Nacer Bouhanni : Une grinta comme je n’ai jamais rencontré. Et une vision très pointilleuse d’un final de course.
- Arnaud Démare : Un gabarit plus imposant et sprinter très résistant donc capable de faire de très long sprints.
J’ai pris énormément de plaisir pendant les 3 années avec les trois sprinteurs différents. D’ailleurs ce sont les meilleures années de ma carrière sur le plan collectif.
Je retiens une seule chose à mes yeux. La mutualisation des compétences ainsi que la mutualisation générationnelle sont indispensables dans la réussite de tout projet ambitieux. Mettre son EGO au service d’un PROJET et non le PROJET au service de son EGO.
Je n’ai que deux conseils à donner aux jeunes et ils sont très simples : prendre du plaisir sur le vélo avant toute chose, puis prendre le vélo comme un jeu tout simplement.