Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
Alors que Raphaël Caucheteux brillait sur les terrains de la LIDL Starligue, l’Équipe de France se refusait toujours à lui. Le meilleur buteur de l’histoire du Championnat de France a finalement découvert la sélection nationale durant le dernier Euro, à 32 ans. Il nous plonge dans cette expérience hors du commun entre difficulté d’intégration et satisfaction d’appartenir enfin à ce groupe renommée. (Crédit Une : FFHB)
J’ai commencé le sport par le football et le tir à l’arc. Et c’est vraiment par hasard que j’ai pu me mettre au handball assez tard, à l’âge de 16 ans. La salle de tir à l’arc était juste au-dessus du terrain de hand de mon club et en voyant les joueurs ça m’a donné envie d’essayer.
J’ai eu de bons entraîneurs qui m’ont fait progresser rapidement et finalement au bout de 2 ans de pratique j’ai performé au cours d’un tournoi à Montpellier ou Patrice Canayer (coach du Montpellier Handball) était présent. À la fin de la compétition, Patrice m’a appelé pour me demander de rejoindre le centre de formation et c’est comme ça que j’ai intégré le club phare de ma ville. Je me suis développé étape par étape, d’abord en tant qu’arrière gauche puis on m’a finalement placé en pivot et ce fût une vraie révélation. Cependant je n’avais pas un physique suffisamment imposant pour ce poste même si j’avais réussi à intégrer l’Équipe de France junior. Pendant les Championnats du Monde de la catégorie en Hongrie, l’ailier gauche titulaire se blesse au dos et notre entraîneur m’a repositionné à ce poste avec succès, car j’ai fini meilleur buteur de l’équipe. Je n’ai plus changé de position sur le terrain depuis ce moment.
UN DÉPART A SAINT-RAPHAEL SALVATEUR POUR MA CARRIÈRE
Quelque temps plus tard, j’ai réussi à obtenir mon premier contrat pro avec Montpellier, mais mon euphorie du moment s’est vite éteinte. Je n’ai pas réussi à évoluer à ce moment-là, car je m’étais un peu relâché inconsciemment alors que c’est vraiment dans ce début de carrière que tu dois encore plus prouver que tu mérites ta place. Je suis entré dans une mauvaise spirale et Patrice m’a alors conseillé de changer de club afin de progresser, car il préférait donner sa chance à Samuel Honrubia. Deux clubs étaient intéressés par mon profil, Saint-Raphaël et Pontault-Combault. C’est compliqué quand tu as signé dans le club de la ville dans laquelle tu as grandi depuis tout petit, et que du jour au lendemain tu ne sais pas où tu vas aller. Après un essai convaincant à Saint-Raphaël, j’ai dû prendre une décision en 48h pour rejoindre le club varois.
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Partir de son club formateur pour s’émanciper fut, je pense, une très bonne chose pour ma carrière. Je n’en veux absolument pas à Patrice, je le précise, car ça m’embête quand je vois des joueurs un peu haineux envers leur club formateur. À Montpellier j’avais les amis, la famille et entre guillemets c’était plus compliqué de se concentrer uniquement sur le métier de handballeur alors qu’en arrivant à Saint-Raphaël j’étais obligé de ne penser qu’à ça.
Durant ce bon début de carrière, je ne pensais absolument pas à l’Équipe de France, car j’estimais que je n’avais pas le niveau suffisant. C’est en devenant l’un des meilleurs buteurs du championnat et en voyant d’anciens coéquipiers devenir international que tu te dis « pourquoi pas moi ». J’avais pu faire les Jeux Méditerranéens avec les A’, mais avec l’ancien sélectionneur Claude Onesta on ne s’est pas forcément entendu. Je me souviens d’ailleurs avoir fait un bon match contre la Serbie où j’avais pu marquer 11 buts et derrière je n’ai presque plus joué sans trop comprendre.
Ça a commencé à devenir une grosse frustration dans ma carrière, car je donnais vraiment le meilleur de moi-même en club et je n’avais aucune explication. Je me demandais si certaines personnes ne m’aimaient pas, si mon profil n’allait pas ou si le fonctionnement de l’Équipe de France où il faut privilégier le groupe et la cohésion pouvait être un frein pour moi et qu’on estimait que je pouvais perturber ça. Quand tu vois la liste des bleus avec le nom des jeunes et qu’on ne voit jamais le tien, ce n’est pas évident.
C’est vrai qu’avant cette sélection pour l’Euro, j’avais sorti tout ça de ma tête. Je n’y croyais plus.
L’ÉQUIPE DE FRANCE, ENTRE FRUSTRATION ET BONHEUR
Pendant l’été 2017, je suis parti avec Didier Dinart pour le Caribbean Tour. Lorsqu’il m’a appelé, je pensais que c’était pour l’Équipe de France donc j’étais un peu déçu, mais je voulais aussi le rencontrer, mais pas dans le but de faire du copinage. Je voulais qu’il me connaisse afin qu’il n’ait pas une image négative.
Pour l’Euro 2018, j’ai appris ma présence dans la liste des 28 de la bouche d’un journaliste et j’ai dû aller le voir de mes propres yeux pour y croire. Didier Dinart m’a aussi appelé, mais en m’indiquant qu’il m’appelait pour un stage en Guadeloupe à Noël. Je me suis demandé pourquoi. En fait il me faisait une blague par rapport au Caribbean Tour, j’ai trouvé ça très drôle et je l’ai remercié de me faire confiance. Faire partie de ces 28 ça ne veut pas dire grand-chose, car il n’y a que 16 sélectionnés pour la compétition. En fait, après les 28, 21 sont pris pour le stage à Cap Breton puis la sélection finale se fait selon les besoins au niveau des postes. Après le tournoi de Bercy et un dernier match à Rouen, nous avons eu une réunion le lendemain et l’annonce a été faite pour indiquer les 16 joueurs + le remplaçant qui partiraient à l’Euro.
Étant pris dans le groupe, j’étais super content, mais la joie ne pouvait qu’être intérieure avec les autres joueurs qui ne pourraient pas participer à l’Euro avec nous. J’estimais avoir une vraie chance, car j’avais beaucoup joué pendant ces matchs de préparation. L’Équipe de France ça représente tellement de choses pour moi, le premier match à Rouen quand Didier nous a distribué les maillots…quand tu le mets, tu te dis que tu rejoins des gens qui ont tout gagné et tu es donc rempli de fierté. Entendre la Marseillaise, tu te dis « c’est bon j’y suis arrivé » et c’est un vrai bonheur.
De plus même si j’avais un peu peur de jouer avec ce maillot, je me suis dit que je devais tout donner et me libérer, car je n’avais absolument rien à perdre. Je me disais : « tu connais tes capacités, reste toi-même et tout se passera bien ».
Je me souviens d’ailleurs de mon premier match avec le maillot bleu, et je commence d’entrée par un pénalty. C’est Didier qui me dit d’aller le tirer, et j’ai cette boule au ventre, mais en marquant c’est la libération. Comme je le disais, j’ai 32 ans j ai déjà fait une grande partie de ma carrière sportive alors je me suis dit lâche toi, n’ait aucun regret !
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En arrivant dans le groupe France, je me suis vite rendu compte que le relationnel était primordial. Je connaissais les joueurs par le biais des matchs, mais pas personnellement et forcément tu as cette peur de dire des choses qui dérangent ou de faire le mauvais geste. Je me souviens de mon arrivée à Cap Breton où tout le monde buvait le café au bar. Je les rejoins, mais les joueurs se parlaient entre eux de leur vie de famille, de leur club et finalement tu attends qu’ils viennent vers toi, mais ils ne le font pas vraiment au début. J’ai rapidement demandé à Adrien Dipanda (mon coéquipier en club) son avis, mais il m’a rassuré. À ce moment-là, les cadres sont un peu dans leur bulle, et c’est une fois qu’ils verront ce que je pourrais apporter au groupe qu’ils s’ouvriraient à moi. C’est le rôle que je me suis donné en Équipe de France, je n’étais pas là pour bousculer la hiérarchie surtout avec le meilleur ailier gauche du monde (Michael Guigou) à mon poste, mais pour aider ce groupe sans jamais être frustré si je ne jouais pas.
UNE INTÉGRATION EN DOUCEUR, MAIS RÉUSSIE
Au début, j’étais avec Nedim Remili en chambre à Cap Breton puis quand on a été à Rouen et sur Paris je me suis retrouvé avec Cyril Dumoulin en chambrée. C’est une très belle rencontre, il a le même âge que moi, on discutait énormément que ce soit du hand ou de la vie en général. Il m’a permis de bien m’intégrer et de m’aiguiller sur certaines choses que je pouvais faire et qui pouvaient être mal perçues : par exemple lorsque nous faisions des séances foot avec l’équipe et que j’allais directement en attaque alors que j’aurais dû laisser les cadres et faire un peu plus profil bas.
Au fur et à mesure je me suis senti bien, les autres joueurs me parlaient et me faisaient confiance. J’ai commencé à répondre au chambrage de Vincent Gérard par exemple. Et j’ai également pu découvrir certains joueurs sous un autre jour. Par exemple, nous avions déjà joué ensemble avec Nico à Montpellier, mais il y a maintenant plus de 10 ans. Je pensais que c’était quelqu’un qui était au centre de l’attention dans le groupe, mais en fait il est assez discret. Mais quand il se met à parler, il a raison. On sent directement que c’est le meilleur joueur du monde. J’ai aussi adoré un mec comme Mika qui n’a pas vraiment changé en 10 ans et qui a conservé des valeurs humaines exceptionnelles.
Hormis les joueurs, Didier et le staff jouent un rôle prépondérant pour la cohésion du groupe. Didier nous parle beaucoup notamment sur le rôle de chacun et on a vraiment cette impression qu’il compte sur tous les joueurs et que personne n’est délaissé. Il arrive à rendre tous les joueurs concernés, par exemple quand on gagne contre la Croatie chez eux et que tout le monde a du temps de jeu, cela met forcément une bonne ambiance. Pendant toute la compétition, il m’a beaucoup parlé, m’a indiqué ce qu’il aimait dans mon jeu et m’encourageait constamment. Quand je vois un jeune joueur comme Romain Lagarde qui était 17ème homme et qui arrive à percer pendant la compétition, ça en dit beaucoup sur la façon de fonctionner de l’Équipe de France. Mon coach en club, Joël Da Silva est aussi un peu comme ça en n’essayant pas de nous apprendre à tirer, mais plutôt en insistant sur le côté humain ou sur la tactique.
HIGHLIGHTS DU MATCH POUR LA MÉDAILLE DE BRONZE
C’est une bonne solution pour l’avenir, car les bleus ont changé depuis 10 ans et il faut davantage insister sur le groupe, car nos titulaires ne peuvent plus jouer 60 minutes par match. De plus le réservoir en France est énorme avec des titres de Champions du Monde dans toutes les catégories (jeunes). Quand on voit un Dika Mem qui arrive à 20 ans avec un tel niveau, on peut aborder la suite avec confiance.
L’EURO DE L’INTÉRIEUR
Cet Euro je l’ai vraiment pris comme un bonus. Si je joue tant mieux, sinon c’est peut-être frustrant, mais ce n’est pas si grave. Bien évidemment quand tu gagnes un match sans le disputer, la sensation est différente. Mais j’ai vécu ça très positivement en acceptant volontiers ma place derrière Mika Guigou. D’ailleurs j’ai pas mal joué pendant toute la compétition, peut-être un peu moins en demi et en finale, mais j’ai vraiment participé à la fête.
L’épisode qui restera le plus marquant est cette prise de parole avant le match pour la troisième place. Lors de la demi-finale contre l’Espagne, nous perdons, car nous avons fait un non-match tactiquement alors que je pense que nous étions la meilleure équipe du tournoi. Le lendemain matin, le staff a organisé une réunion et tout le monde avait un peu la tête dans le guidon. Intérieurement je me disais qu’il y avait encore une médaille à aller chercher et je sentais qu’on perdait un peu notre motivation suite à cette défaite. Cette sensation m’est restée toute la journée dans la gorge, je voulais en parler, mais je me disais que ce n’était ni le moment ni à moi de le faire.
Le soir, on m’a remis un pin’s, car j’avais pu dépasser les 5 sélections avec l’Équipe de France. On m’a alors demandé si je voulais dire un mot et j’ai pris la parole sur ce sujet. Je leur ai exprimé la chance que j’avais d’être là et que je n’avais pas envie de la gâcher. Que peut-être pour certains d’entre eux cette médaille de bronze pouvait signifier quelque chose de moins important, car ils avaient tout gagné, mais que nous étions 8 joueurs dans l’équipe à n’avoir rien gagné avec l’EDF. Je leur ai dit qu’à 32 ans c’était peut-être ma seule chance de médaille et je leur ai demandé de tout donner pour ce dernier match, tandis que moi, même si je ne jouais pas je serais à 1000% pour les supporter. Ça a un peu mis un blanc, mais je pense que ça les a vraiment reboosté.
Après notre victoire pour cette troisième place, pour moi la plus belle récompense n’était pas la médaille de bronze, mais les gars qui sont venus me voir pour me dire que cette médaille était pour moi et que je l’avais méritée. Ça m’a vraiment touché, car ça voulait dire que j’avais réussi à toucher mes coéquipiers dans leur cœur et qu’il m’avait apprécié.
Cette médaille de bronze est une fierté pour moi, pour ma famille, pour ces années de travail, pour cette frustration de ne pas avoir été international plus tôt et pour mon club qui m’a toujours donné sa confiance. Ce sera peut-être la seule, mais celle-là je la garde.
Cette aventure s’est donc très bien passée avec les joueurs et le staff. Je vais tout faire pour continuer d’être appelé. Je suis en forme physiquement et je peux apporter au groupe, pas forcément par mes discours, mais aussi sur le terrain. Je me tiens prêt.
De plus cet Euro m’a permis d’énormément progresser au contact de ces grands joueurs pendant plusieurs semaines, que ce soit tactiquement ou handballistiquement. Pour prendre un exemple, nous avons récemment joué Berlin en Coupe d’Europe avec mon club de Saint-Raphaël et nous étions vraiment plus en confiance avec Dip (Adrien Dipanda) En Équipe de France, les joueurs s’entraînent à 100% et pour suivre la cadence tu dois être de ton côté à 120% pour montrer que tu es à leur niveau. On manque peut-être de ce même type d’exigence en club, moi le premier.
Depuis que je suis revenu, j’essaie d’être différent. On joue comme on s’entraîne donc c’est de ce côté-là qu’il faut être plus sérieux. Je me suis rendu compte que pour le gainage je n’étais pas au niveau des meilleurs donc je m’y remets à fond en club. Ce formidable coup de boost dans ma carrière va me forcer à mettre les bouchées doubles, car je ne souhaite qu’une chose : y retourner.