Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
Maxime Marotte, récent champion de France de VTT Cross-Country, nous fait vivre de l’intérieur la course la plus importante de sa vie. Découvrez son récit en plein cœur de l’action. Crédit photo : Paul Foulonneau / 3SO l’Agence
Je fais du vélo depuis que je suis tout petit, c’est comme si j’étais né dessus. Mon père m’a transmis cette passion pour la petite reine. Ce sont les balades en forêt avec lui qui m’ont fait découvrir ce sport jeune et alors en plein essor.
Finalement, je me suis orienté vers le Cross-Country qui se déroule sur un circuit de 4 à 6 kms alternant montées physiques et descentes techniques. Cela m’a permis d’allier mes deux passions : le cyclisme et son défi purement physique avec les sports mécaniques qui font la part belle au pilotage. C’est un des rares sports ou l’on va pousser la douleur et la souffrance aussi loin et plonger de suite dans une descente ou la concentration et la prise de risque sont primordiales. Le tout sur des machines hors de prix. Nous passons énormément de temps à améliorer les pneumatiques, à travailler sur nos réglages de suspensions, à développer les futurs produits avec les ingénieurs… j’adore ça et avoir le privilège de rouler sur des prototypes avant tout le monde, d’être dans le secret d’une grande marque comme Cannondale et de donner son avis est un rêve de gosse !
EN FINIR AVEC LE STATUT D’OUTSIDER
Je n’ai jamais été le meilleur athlète de ma génération que ce soit dans les catégories jeunes ou maintenant chez les Elites. Mais je suis quelqu’un qui s’accroche, ce qui m’a permis de gravir les échelons et de réaliser mon rêve. Être athlète professionnel, vivre de mon sport, voyager partout dans le monde.
This is custom heading element
Malgré toutes ces années et de nombreux podiums en coupe du Monde, je n’ai jamais réussi à décrocher le maillot de Champion de France. Pour un cycliste, d’une manière générale, c’est vraiment quelque chose de spécial. Avoir le droit de porter ce maillot tricolore pendant un an représente beaucoup à mes yeux. En plus, on a le droit de porter à vie un liseré sur les manches de notre maillot, symbolisant notre succès passé. J’ai beau avoir remporté 5 fois la Coupe de France, le “France” c’est autre chose.
UNE OPPORTUNITÉ EN OR
Ce Championnat de France arrive après deux manches de Coupe du Monde. Ces épreuves sont également des objectifs importants, c’est pourquoi la planification est compliquée. Rester trois semaines en forme est difficile. Nous passons des semaines, voir des mois à nous préparer. Le corps se fatigue, on diminue alors la charge d’entraînement et le corps va surcompenser, ce qui a pour résultat d’avoir un niveau de performance plus élevé. Mais cet effet est éphémère, c’est toute la complexité de la planification. Avec mon entraineur Philippe Chanteau, nous avons fait le choix de monter en puissance quitte à être un peu limite sur la première de ces trois courses.
Honnêtement, j’étais nerveux toute la semaine… je ne voulais pas passer à côté. Pour la première fois depuis longtemps, le maillot changera d’épaules, Julien Absalon s’étant blessé un mois auparavant, il ne sera pas au départ. Dans le VTT les relations entre athlètes sont bonnes, j’ai toujours eu du respect pour mes aînés et ils en ont eu pour moi également. Alors bien sûr ce n’est pas facile pour lui, mais notre relation n’a pas changé. J’espère que cette atmosphère perdurera encore longtemps dans notre sport, la balle est dans le camp des jeunes maintenant !
Son absence m’a quand même rajouté de la pression, car j’ai récupéré le statut de favori. En France, le niveau étant tellement élevé (cinq athlètes dans les dix premiers mondiaux), nous étions nombreux à pouvoir gagner : Stéphane Tempier mon ancien coéquipier, mais aussi mon ami. Titouan Carod, Victor Koretzky et Jordan Sarrou qui incarnent la génération montante du VTT tricolore.
185 PULSATIONS MINUTE
J’ai de suite pris un bon départ, bien calé dans la roue de Titouan Carod, un jeune athlète bourré de talent. C’est parti très vite, il a mis la pression d’entrée pour dynamiter la course. Nous nous sommes donc rapidement isolés en tête. Stéphane Tempier nous a également rejoint. La course est devenue alors plus tactique. Ce circuit breton de Ploeuc-sur-Lié, long de 6km à parcourir cinq fois, est très nerveux avec des montées courtes et une longue phase de transition plate, était favorable à ce genre de course tactique.
This is custom heading element
Après la mi-course, j’ai compris que Titouan ne baisserait pas de rythme comme cela peut lui arriver. Je voulais éviter une arrivée au sprint face à lui, car il est rapide et je n’étais pas sûr d’avoir l’avantage. J’avais observé que j’étais plus à l’aise dans la première partie du circuit où se situaient les deux principales difficultés. Je voulais attaquer dans ce 4ème et avant dernier tour, mais j’ai chuté… en montée ! Une seconde de déconcentration, je tape une pédale bêtement et me voilà 3ème à quelques secondes… gros moment de doute. Je recolle rapidement, mais Titouan attaque très fort, on est au rupteur (dans la zone rouge), Steph décroche et Titouan se relève. Je ne contre-attaque pas, car je dois récupérer de cet effort superflu. Steph recolle. À partir de là, le plan est clair dans ma tête : je sprinte à la fin de la partie plate pour attaquer la première partie de ce dernier tour de circuit devant. Plus question de me retourner, j’attaque fort, je mets tout ce que j’ai. Trop nerveux, je refais une erreur, sans tomber je perds quelques secondes, mais je garde l’avantage. Je creuse l’écart, mon team manager m’annonce 15 secondes d’avance, il reste 7 ou 8 minutes de course.
This is custom heading element
EN APESANTEUR
Le VTT, c’est un sport de souffrance, ces moments-là demandent un engagement total, une abnégation monstrueuse. Mon cœur est au taquet, 185 pulsations par minute (177 de moyenne sur 1h30), les jambes me brûlent, je suis au bord de l’asphyxie. Mais cette douleur, on apprend à faire avec, elle fait partie de notre quotidien. Je ne la combats pas, elle m’envahit, j’ai mal, je l’accepte. Mon cerveau marche par étape, je me fixe de petits objectifs pour oublier qu’il me reste tant à parcourir.
Et puis arrive le sommet de la dernière montée… mon coach me dit 18 secondes d’avance, c’est gagné, je le sais. Il reste 500m, une formalité. J’arrive dans la ligne droite d’arrivée, je laisse éclater ma joie. Je crie, je hurle, rien de préparé à l’avance, juste du naturel, mais à l’état second. Je tombe dans les bras de mon entraîneur, on pleure comme des gamins. 12 ans de travail ensemble. Je l’ai fait, je suis champion de France. Ça faisait tellement longtemps que je courrais après ce titre, j’en avais tellement envie que ce moment est très spécial. Ça n’arrive pas souvent des moments comme celui-là, la dernière fois était en 2011, mon premier podium en Coupe du Monde. Si je me lève le matin c’est pour avoir la chance de vivre à nouveau ces 2-3 minutes en apesanteur… c’est tellement éphémère, mais ô combien addictif. Les gens ne comprennent pas toujours les sportifs, mais croyez-moi, un moment comme celui-là c’est de l’adrénaline pure, un truc que seul le sport peut vous procurer : passer d’une souffrance extrême à une joie immense en 30 secondes.
Depuis ce titre, je me sens soulagé, comme si je n’avais plus cette épée de Damoclès au-dessus de moi. Je me sens plus détendu et tellement fier de pouvoir porter ce maillot bleu blanc rouge.