On dit parfois que des exploits sportifs peuvent marquer une jeunesse, à tel point que pour certains, un rêve professionnel en découle, encore plus rarement devient-il réalité. Pierre Gasly n’avait que trois mois lorsqu’en 1996, Olivier Panis décrocha sa première et unique victoire en Formule 1, dans un Grand Prix de Monaco toujours aussi mémorable. Il ne fait nul doute que Gasly n’a pas pu assister à l’exploit du pilote Ligier il y a vingt-quatre ans, le contraire tiendrait de la magie, de la déraison. Mais aujourd’hui, ces qualificatifs ne lui ont jamais autant collé à la peau. Le normand est en effet, au volant de son Alpha-Tauri, parvenu à remporter la première course de sa carrière en catégorie reine, devenant enfin le successeur tricolore de Panis et par conséquent le treizième pilote français à briller en F1. En l’espace d’une course, sur le mythique autodrome de Monza, il est passé dans une autre caste de pilotes, celle des lauréats de Grand Prix. Au terme d’un combat féroce, l’illustration parfaite de son parcours en F1.
Car Pierre Gasly a toujours su vaincre les démons que l’on lui jetait dans les roues, les embuches dressées sur son chemin vers la gloire. Talentueux pilote chez Toro-Rosso, logiquement promu pour un baquet dans la fameuse Red-Bull, il su parfaitement rebondir l’an passé lorsque ses dirigeants décidèrent finalement que, faute de résultats, il était rétrogradé à son ancien poste dans l’antichambre. Rebondir en accrochant plusieurs fois les points avec une voiture pas forcément au niveau, mais surtout en montant sur son premier podium au Brésil (2e), après avoir tenu tête dans les derniers tours à Lewis Hamilton. Pierre Gasly avait fait d’autant plus preuve de cran durant cette seconde moitié 2019, touché au plus profond de lui par le décès de son ami d’enfance et compagnon de route de toujours Anthoine Hubert, lors de la course de F2 de Spa-Francorchamps. A Sao Paulo en novembre dernier, ou cette année encore, Gasly semblait propulsé par une force extérieure, cela aurait pu être la magie dont on parlait. Il s’agit certainement plus d’un élan intérieur, Anthoine y est pour quelque chose.
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Pour Anthoine déjà, Pierre avait dédié sa belle huitième place au GP de Belgique il y a sept jours. Une course qui aurait pu être plus brillante encore s’il avait eu un surcroît de réussite concernant sa stratégie. Hier après-midi, en Italie, c’est la même réussite qui a fuit aux Scuderia Ferrari dans leur jardin, les deux monoplaces ne parvenant pas à terminer la course. Par contre, elle avait du s’immiscer à un endroit dans le scénario. Peut-être était-ce justement lorsque Charles Leclerc sortit brusquement de la piste, provoquant l’interruption de la course et un nouveau départ. Ou auparavant, quand Lewis Hamilton fut pénalisé pour être rentré dans une voie des stands fermée. Au restart du 28e tour, Pierre Gasly est deuxième et bien accroché pour tenir un nouvel exploit en carrière. Hamilton contraint à sortir rapidement pour observer sa pénalité et à ressortir tout à l’arrière, le normand prenait les rênes et l’avenir paraissait radieux. Bien sûr, il aura fallu que le destin lui propose à nouveau un obstacle de choix. Carlos Sainz Jr (McLaren), futur transfuge de Ferrari, était lancé à sa poursuite. Or, encore une fois, il surpassa les attentes.
Au prix d’un effort physique sans doute phénoménal, inimaginable surtout, Pierre Gasly conserva toujours plus d’une seconde sur l’espagnol. Tout le monde frissonna quand la McLaren s’approcha à quelques mètres, à peine un tour avant l’arrivée. Mais il n’était plus temps de revenir, Pierre était accroché à son rêve. C’était aussi le rêve d’Anthoine, de Jules (Bianchi). Ce fut autrefois celui de Sebastian Vettel, vainqueur en 2008 à Monza de son premier GP au volant d’une…Toro-Rosso ! Ce rêve, pour Pierre Gasly, c’était comme pour tout pilote de remporter un Grand Prix. Sa victoire lui a permis d’écrire l’histoire de son sport en France, mais aussi au-delà des frontières nationales. Il entre dans un gotha, a fait gagner une voiture autre que le trio Mercedes-Ferrari-Red-Bull pour la première fois depuis Kimi Raikkonen pour Lotus en 2013, et son avenir semble radieux. C’est ce qu’ont fait penser les premières réactions du paddock et notamment celle du king Hamilton, qui a dit que Pierre « mérite une place dans un top team ».
Il n’y a pas que le résultat qui fait entrer une performance dans l’histoire. Etre adoubé par les plus grands, Hamilton en tête (« Gasly mérite vraiment cette victoire ») est tout autant gratifiant. Voire plus. Tout ça à 24 ans. Quelque chose nous dit que ce n’est pas fini.
MATHEO RONDEAU