Wout Van Aert était bel et bien le plus fort cet après-midi, sur le 111e Milan-San Remo. Il s’est imposé au sprint, avec une demi-roue d’avance sur Julian Alaphilippe, très costaud aujourd’hui ! Crédit : DR
Ce ne fut pas le plus beau Milan-San Remo. On parle bien en termes paysagers, décors et ambiance. La vieille et habituelle côte ligure que la Classicissima emprunte sur plus de cent kilomètres n’était pas au programme, et il fut difficile de croire que les coureurs étaient bien sur les routes du Monument italien, jusqu’à Imperia. Pour le reste, les quarante derniers kilomètres avec le souffle coupé nous remettaient bel et bien les pieds sur terre. Une dernière heure de course absolument magnifique, dont seule la Primavera a le secret. Et au final, après l’enchainement Cipressa-Poggio, une arrivée à deux, les deux plus forts, Wout Van Aert et Julian Alaphilippe, au sprint Via Roma. Comme un symbole, le tenant du titre et le principal candidat à sa succession. Au bout de l’avenue reine de San Remo, c’était le Belge qui levait les bras et réalisait son rêve, sept jours après sa démonstration sur les Strade Bianche.
Avant cette dernière heure, il y eut cette échappée, sept coureurs rapidement pris en charge par les équipes des favoris. Les deux nouvelles difficultés au programme auront au moins, si elles n’ont absolument pas modifié la physionomie de la course, ajouté un soupçon de suspense dans l’attente du comportement des grosses écuries. Entre le Niella Belbo et le Colle di Nava, l’unique coup de théâtre fut la chute de Matteo Trentin, 10e en 2019. Les derniers fuyards étaient repris à l’entrée d’Imperia, alors que le peloton retrouvait des routes qu’il connaissait un peu mieux. Imperia fut d’ailleurs le lieu d’une première bévue pour l’empereur Alaphilippe, qui crevait de la roue arrière au pire moment, moins de dix bornes avant la Cipressa. Montée dans laquelle Loïc Vliegen et Jacopo Mosca tentaient vainement leur chance, pendant que les sprinteurs Fernando Gaviria et Caleb Ewan, lâchés, perdaient tout espoir. Un peloton bien dégarni franchissait le sommet, emmené par Daniel Oss. Le colosse allemand s’offrait même un petit raid en solitaire, rattrapé à une quinzaine de kilomètres de la ligne.
C’était le Poggio, principal et historique écueil des prétendants à la gagne, juge de paix des trois dernières éditions – Kwiatkowski, Nibali et Alaphilippe y étaient sortis – qui s’avançait. Il restait un bon paquet de vainqueurs potentiels, et l’attaque dès le pied d’Aimé De Gendt, peut-être précipitée à la suite de la chute de son leader Danny Van Poppel quelques hectomètres plus tôt, ne permis d’abord pas d’effectuer l’écrémage escompté. Jacopo Mosca, puis Gianluca Brambilla, remontraient le paletot Trek-Segafredo, en vain. Là où tout le monde avait les yeux rivés, c’était sur l’avant du peloton. A mi-Poggio, les plus grands étaient au rendez-vous : Wout Van Aert (derrière son équipier Amund Jansen), Julian Alaphilippe, Peter Sagan ou Michal Kwiatkowski. Et, puisqu’il avait annoncé qu’il ne se croyait « pas capable de renouveler (s)on attaque dans le Poggio » (L’Equipe), Julian Alaphilippe, tenant du titre, renouvelait son attaque dans le Poggio. Un temps accroché dans la roue de Van Aert, qui réagit immédiatement, Kwiatkowski se rassit sur sa selle, immobilisé par l’effort trop couteux en acide lactique.
L’énergie, il en manquait à tout le monde dans les derniers mètres de l’ultime difficulté. C’était on ne peut plus visible sur le corps de Julian Alaphilippe, qui s’écrasait sur sa machine, désormais incapable de se mettre en danseuse. Au virage de la cabine téléphonique, qui symbolise la bascule vers San Remo, il disposait d’environ cinq secondes sur Van Aert, et dix sur le reste du peloton, relancé par Matej Mohoric. Bien vite, les deux fuyards se regroupaient à l’avant, et on eut droit à ce que l’on espérait, très secrètement, bien enfoui dans certaines pensées, à ce duel de gros bras à la science de la course connue et reconnue. Car avant de les retrouver, plongés en tête dans la descente vers la Via Roma, ils avaient déjà fait preuve d’un remarquable sens de l’anticipation ou de gestion des ennuis mécaniques, Van Aert passant en quelques secondes, sans soucis ni efforts superflus, des dernières aux premières places du peloton au pied du Poggio, alors que tous les favoris l’avaient fait bien avant, et Alaphilippe remontant rapidement à l’avant suite à sa crevaison.
Julian Alaphilippe, dont la magistrale offensive restera longtemps dans les mémoires, fut donc rapidement muselé par son rival numéro un, Van Aert, vainqueur comme le tricolore l’an dernier, des Strade Bianche sept jours avant la Primavera. Sans bénéficier d’une grande marge sur le reste des ambitieux, le duo royal s’avançait vers un sprint pour la gagne. Les deux profitèrent même d’un instant qui fut peut-être fatal, lorsque Mathieu Van der Poel se retrouvait en tête des poursuivants, sans le vouloir, sans poursuivre le rythme imprimé auparavant. Avec quelques dizaines de mètres d’avance, Alaphilippe et Van Aert pouvaient réfléchir à l’emballage final, le tricolore songeant même à resserrer ses chaussures sous la flamme rouge. Via Roma, le sprint est lancé et, comme en 2017, le puncheur Deceuninck-Quick Step se retrouve à hauteur de son adversaire, sans jamais pouvoir le déborder pleinement. Van Aert, royal comme il fut impressionnant dans les cent derniers mètres de Milan-Turin mercredi, conservait la tête et exultait.
Michael Matthews réglait le sprint du peloton, s’offrant un podium pour son retour à la compétition, juste devant Peter Sagan, à nouveau fort, présent, mais malheureux. Arnaud Démare, 24e, n’ayant pu conclure dans de bonnes conditions parce qu’il s’est fait tasser dans les barrières, et a même cassé sa roue, conservera aussi des regrets.
Un Julian Alaphilippe de feu après des Strade difficiles et un Wout Van Aert encore plus génial, marchant sur les pas de son dauphin du jour en empochant son premier Monument, voilà à quoi ressemblaient nos espérances. Malgré les déboires dans l’organisation, le parcours, les réductions du nombre d’équipiers, on en n’attendait pas moins. Mais c’est toujours mieux quand les rêves deviennent réalité.
Mathéo RONDEAU