STÉPHANE JOULIN : PROFESSION AILIER EUROPÉEN

Entre Allemagne, Espagne et France, l’ancien handballeur international Stéphane Joulin nous raconte son histoire et son évolution en tant qu’homme et handballeur au cours d’une interview-fleuve.
Stéphane Joulin
(c) DR
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Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Souvenirs» permet à un sportif de replonger dans certains moments clés de sa carrière.

Entre Allemagne, Espagne et France, l’ancien handballeur international Stéphane Joulin nous raconte son histoire et son évolution en tant qu’homme et handballeur au cours d’une interview-fleuve.

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Stéphane, ton histoire avec l’Allemagne commence tôt ?

Effectivement, car j’y suis né. Mon père étant militaire, nous le suivions au gré de ses mutations. Après Trèves, ma ville natale, nous revenons un moment en France et repartons ensuite pour six années à Reutlingen. Une époque bien différente puisque l’Allemagne n’était pas encore réunifiée.

Nous vivions en autarcie, dans une ville de garnison, et avec peu de relations avec les Allemands de l’ouest. Mais nous avons bien vadrouillé et découvert un pays qui m’a enthousiasmé ! D’où une relation précoce avec le pays de Goethe !

Comment as-tu commencé le handball ?

Mon père jouait à un bon niveau (Nationale 2) comme gardien de but. On l’accompagnait donc en famille tous les week-ends et c’est ainsi que j’ai commencé à manipuler la petite balle pégueuse, par mimétisme.

Tu débutes dans le monde pro à Ivry.

Oui. Un concours de circonstances, car je jouais à Dreux en Espoirs N1B (2ème division) et lors des élections législatives, le Front National est passé et a de facto coupé la manne financière du club. Je rejoins donc Ivry dans la même catégorie et signe mon premier contrat à vingt ans. J’étais passionné, certainement ambitieux, mais surtout conscient qu’il serait difficile d’y arriver. Il était compliqué à cette époque de se projeter dans le professionnalisme, car il en était encore qu’à ses balbutiements. Le rêve était simplement d’atteindre le plus haut niveau.

Les débuts sont plus compliqués et tu dois te battre ?

On ne faisait pas encore facilement confiance aux jeunes. La seconde année de mon contrat, alors qu’un nouvel entraîneur venait d’arriver en la personne de Valery Sidorenko, j’ai été prêté à Montreuil en troisième division pour que je puisse m’aguerrir.

En parallèle, Mr Sidorenko proposait des créneaux d’entraînement singuliers pour satisfaire aux obligations scolaires et universitaires  des jeunes joueurs, en plus des séances de la D1. Appartenant toujours à Ivry, j’étais convié quatre matins par semaine à 6h45 pour m’entraîner avant d’aller en cours, au même titre que d’autres espoirs du club. Nous étions un petit groupe à travailler sous sa houlette, une belle expérience et surtout une chance incroyable de continuer à progresser. Il nous a transmis une rigueur et un goût de l’effort, auxquels il s’astreignait lui-même puisque dès six heures du matin il occupait son bureau afin d’apprendre le français ! Son éviction en janvier 1996 m’attristera énormément.

Finalement après deux saisons concluantes, tu es prêt pour Ivry ?

On me propose de revenir après cette parenthèse positive et enrichissante avec Montreuil, et je signe donc un nouveau contrat avec mon club de cœur. Mes débuts répondent aux exigences de la D1 et je fais la paire avec Pascal Léandri. Tout s’enchaîne rapidement. Après un an je reçois une première convocation en équipe de France, juste après le titre de Champion du Monde de 1995. Puis viennent deux belles années pour le club avec l’obtention de la coupe de France en 1996 et le titre de champion en 1997.

Tu avais tapé dans l’œil des clubs allemands depuis quelque temps ?

Au gré des matchs en coupe d’Europe, avec l’EDF ou lors de tournois amicaux, on peut faire bonne impression. L’arrêt Bosman est acté huit mois avant les JO d’Atlanta, les joueurs français ont la côte et des agents commencent à graviter autour de nous. Une première vague franchit le Rhin en 1996 (Stoecklin, Richardson, Volle). Après notre titre de 1997, nous échouons à nous qualifier en Ligue des Champions malgré un recrutement pléthorique. Nous sommes trois à devoir plier bagage pour le bien des finances du club : Raoul Prandi, Éric Amalou et moi-même.

Me voici donc prêt à revenir en  Allemagne. Le berceau de mon sport.

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Tu signes finalement au THSV Eisenach, un choc handballistique pour toi?

Les clubs allemands recrutaient souvent sur les conseils des agents. Pour l’anecdote, la première question du président en me voyant débarquer fut : « mais combien pèse-t-il ? », alors que je faisais 71kg pour 1m81. Je crois qu’ils ont eu un peu peur, même le capitaine s’est étonné que l’on puisse recruter un morphotype comme moi.

Je suis arrivé le mercredi et dès le samedi nous rencontrions le SC Magdebourg (avec des joueurs comme Kervadec, Gaudin, Abati, Kretschmar), pour le derby entre les deux clubs de l’ex RDA. J’ai découvert un chaudron de 3200 personnes qui bouillonnaient d’une ferveur exceptionnelle. La sensation d’arriver là où j’avais toujours rêvé d’être. Nous l’emportons et la communion ressentie ce jour-là entre les fans et l’équipe reste indescriptible. Que l’allemand est festif !

Quelque part j’accédais à la NBA du handball, je prenais un plaisir énorme en vivant ma passion à 200%, dans des salles remplies et ou chaque week-end, tout pouvait arriver. C’était un contrat de six mois et l’occasion de mettre un pied dans cet univers-là.

Tu ne restes pas, et tu obtiens ta grande signature au TV Niedewürzbach.

Un club vice-champion d’Allemagne, avec des stars comme Lovgren, Lavrov, Schwarzer, Jovanovic et trois autres Français (Houlet, Cordinier et Schaaf). Cela ne restera pas une grande expérience, le club fait banqueroute suite au retrait d’un sponsor. De plus certains habitaient en France à Forbach, les autres en Allemagne et il y avait donc assez peu d’échanges pour créer une cohésion au sein de l’équipe. Et une mentalité inhérente à l’ex-Allemagne de l’Ouest qui m’incommodait régulièrement. Peut-être moins d’ouverture d’esprit et des aprioris tenaces.

J’ai alors le choix d’aller à Magdebourg ou de retourner à Eisenach. Le fait d’avoir évolué dans une équipe avec beaucoup d’individualités & d’egos, d’avoir un peu perdu ce plaisir de jouer au handball, m’a donné envie de me ressourcer à Eisenach où j’avais noué de solides amitiés. Et une mentalité qui me correspondait bien mieux.

Tu es toujours en équipe de France, mais finalement, tu rates un peu ta sortie ?

Après deux belles années à Eisenach, je suis partant pour retrouver à nouveau un gros club, en l’occurrence le SC Magdebourg. J’avais donné mon accord pour les rejoindre après les Championnats du monde qui avaient lieu en France. Mais fin novembre je me blesse au genou… Le moment le plus douloureux de mon aventure… Point de Mondial, pas de transfert vers le SCM !!

Mais comme le dit si bien Paul Eluard : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous ». Sans cette blessure j’aurais quitté Eisenach et jamais je n’aurais rencontré celle qui partage dorénavant ma vie.

Le hand était pour moi le support pour vivre autre chose de personnel.

Je suis maintenant profondément lié à cette région de l’Allemagne. J’en ai aussi appris la langue, car on y parle un bel allemand, propre et sans accent. Et j’ai aimé découvrir Weimar, Leipzig, Dresde. La richesse culturelle y est foisonnante (architecture, musique, littérature…) et j’y retourne fréquemment. N’oublions pas non plus qu’Eisenach a vu naître Jean-Sébastien Bach et qu’il y a vécu jusqu’à la mort de sa mère, inspiré Wagner et caché Martin Luther afin qu’il échappe à l’inquisition et lui permettre d’y esquisser les bases de sa Réforme.

Pourquoi être parti du THSV Eisenach ?

Difficile de résister à un coup de fil de Ciudad Real. Je savais qu’il recherchait un ailier droit.

Mon contrat n’était pas prolongé. Ça ne se passait pas très bien avec l’entraîneur, une nouvelle équipe dirigeante qui souhaitait faire table rase d’une certaine identité. Cela m’a beaucoup touché, j’aimais et j’aime toujours ce club.

Je n’ai donc pas hésité longtemps pour Ciudad, je voyais ça comme une récompense. Tout le monde était au courant de ce que ce club était en train de devenir avec de fortes ambitions européennes. C’était sur un an, mais que diable ! Évoluer avec Olafur Stefansson, Didier Dinart, Talant Dujshebaev ou encore Alberto Entrerrios… tout est dit. Et évidemment le plaisir de découvrir une autre culture.

Ce fut une très belle année. On est champion d’Espagne, on remporte la coupe de la Ligue, la finale de la coupe d’Espagne et on va en demi-finale de Ligue des Champions perdue contre Celje, le futur vainqueur… Super groupe avec lequel je me suis régalé, que des garçons humbles et agréables. J’ai découvert un club ultra structuré, je débarquais dans un autre monde. Tout était pensé pour nous mettre dans des conditions optimales. Et un projet dantesque ! Je me souviens notamment de la présentation de l’équipe en début de saison devant près de 300 personnes, c’était impressionnant. Mais ce n’était pas bling-bling, ça restait simple et convivial. Si mon épouse avait un souci, le club était ultra réactif. On était vraiment bien entouré.

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Après sept ans à l’étranger, le retour en France pour terminer ta carrière.

Il était prévu que je ne reste qu’un an, avec l’arrivée de Mirza Dzomba. Je reçois alors une proposition du club de Saint-Raphaël qui venait d’accéder à la D1. J’accepte rapidement, car le projet me plaît ! Et je connais bien la région.

Le président, Jean-François Krakowski, a vraiment fait preuve d’une patience et d’un engagement exemplaire pour stabiliser son équipe au plus haut niveau, car cela ne fut pas un long fleuve tranquille. Après deux premières années chaotiques (une descente et un maintien en D2) nous retrouvons l’élite pour ne plus la quitter. Mais il est temps pour moi de passer à autre chose et je remercie encore Jean-François de m’avoir offert la possibilité d’une reconversion en douceur, au sein du centre culturel de la ville. J’ai donc pu facilement appréhender cette petite mort en commençant à travailler lors de ma dernière année en tant que joueur.

As-tu toujours un lien avec le handball aujourd’hui ?

J’avais complètement arrêté le handball pendant deux saisons quand Christian Gaudin, le coach de l’équipe 1 me propose de prendre en charge les moins de 18 ans. J’ai longuement réfléchi, car je ne m’étais jamais imaginé dans la peau d’un éducateur, malgré une envie de transmettre. J’étais un peu dans le doute. Capable, pas capable ? Alors pour le savoir, j’ai accepté, avec toute l’humilité que cela requiert !

La première saison se passe assez mal et on ponctue l’année par dix défaites d’affilée en poule haute du Championnat de France. Mon président me le fait remarquer, et je prends acte de l’importance de cette responsabilité. Bien accompagner nos minots, respecter l’image du club, être constamment aux aguets pour avancer.

Deux ans plus tard, nous remportons le Championnat de France de la catégorie avec une génération espiègle et déterminée. Une magnifique aventure. Mais pas un aboutissement, car c’est la formation qui reste au cœur du projet.

Est-ce que tu vois des différences entre les jeunes aspirants d’hier et d’aujourd’hui ?

En fait, tout dépend des générations. Celle qui a été championne pouvait être insolente et joueuse, mais finalement très disponible pour échanger et partager. Peut-être était-elle consciente qu’il lui fallait plus pour aller au bout de son rêve !

Le problème actuel est que certains deviennent inconsciemment carriéristes plus tôt, et occultent alors momentanément le plus important : à savoir le simple plaisir de jouer, point sur lequel j’axe mon discours.

Certaines attitudes consuméristes aussi (on vient, on consomme et on part) m’interpellent et me laissent dubitatif. Ils passent à côté d’une aventure humaine. Notre rôle est donc aussi très axé sur l’individu afin d’aiguiller et réduire ces dérives.

Mais à leur décharge, ils se doivent tout de même d’avoir les reins solides, car deux ans pour prouver qu’ils peuvent intégrer un centre de formation c’est court. On se pose des questions trop vite sur leurs aptitudes et on leur demande peut-être plus de maturité qu’à mon époque.

Un dernier mot sur ta carrière ?

La rencontre avec Valery Sidorenko est la pierre angulaire de mon cheminement. Les sacrifices consentis durant ces heures d’entraînement ont rendu possible tout ce qui s’en est suivi. Il m’a inculqué la rigueur, l’abnégation, et c’est lui qui m’a emmené en équipe nationale.
Si je partage aujourd’hui avec vous ce petit instantané sur mon vécu, c’est bien à ce Monsieur que je le dois.

Je suis bien entendu extrêmement reconnaissant de tout ce qui m’a été permis de vivre. Un privilège et un bonheur immense.

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